merci à Alexis de nourrir notre marche chrétienne de ce jour

Venez maintenant, tout est prêt. Depuis longtemps déjà, Dieu a ouvert sa table à l’homme et l’attend aux noces de son Fils. Dieu invite, et qu’importe le refus des bien-nés. Entreront dans la maison les sans-nom, les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux. C’est avec eux que Dieu fêtera l’alliance nouvelle. Puissions-nous être du nombre de ces miraculés de l’amour.
La parabole des invités remplacés par des pauvres appartient aux paraboles du Royaume, le règne de Dieu étant souvent dans les Ecritures comparé à des noces ou à un repas. Elle est commune à Matthieu[1] et à Luc, mais l’originalité de Luc est d’y appeler un peuple nouveau formé de pauvres, juifs ou païens.[2] Déjà, au cours du même repas où il est invité dans la maison d’un chef des pharisiens, Jésus insiste sur l’humilité, préconisant de choisir la dernière place,[3] ou encore la générosité active, suggérant d’inviter des pauvres.[4]
Heureux qui mangera le pain dans le royaume de Dieu. La béatitude qui introduit à la parabole révèle[5] et dévoile le règne de Dieu. Elle exprime l’espoir de participer au festin messianique de la consommation des temps où les élus se rassemblent près des patriarches et des prophètes, selon la vision traditionnelle. Ceux qui n’ont pas répondu à l’appel en seront exclus.[6]
La parabole proprement dite voit défiler trois séries d’invités successifs. D’abord les invités du départ, présumés être nombreux, bien que, selon la règle usuelle du genre, le récit n’en présente que trois.[7] Selon l’usage oriental, les invités ont été prévenus depuis longtemps. Au dernier moment, leur hôte envoie un serviteur pour les chercher et les accompagner. Mais tous déclinent l’invitation, sous prétexte d’autres obligations, le troisième ne prenant même pas la peine de s’excuser.[8]
Ensuite, le maître fait appeler par les places et les rues de la ville les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux.[9] Les premiers suppléants sont ainsi tous les types de pauvres, ceux qui sont déclarés bienheureux, à qui est promis le Royaume.[10] Ils sont recrutés dans la ville, autrement dit dans Jérusalem, ce qui signifie qu’il s’agit bien ici des pauvres de Dieu,[11] les courbés, les inclinés, les petits, les faibles, à qui Dieu promet son amour préférentiel.
Enfin, parce qu’il reste de la place, l’hôte fait élargir la recherche par les routes et les jardins. C’est donc en dehors de la ville que sont interpellés les deuxièmes suppléants. Dieu convoque ainsi des gens de l’extérieur dans son Royaume à la place des invités défaillants. Ils y sont priés de manière pressante, sans pour autant qu’il soit fait usage de violence envers eux.[12]
Aucun de ceux qui avaient été invités ne goûtera à mon dîner. La menace finale exclut ceux qui avaient été initialement invités. Elle ne concerne cependant pas l’ensemble des habitants de la ville, puisque les pauvres qui en sont issus participent au repas, avant même les gens venus de l’extérieur. L’ultimatum s’adresse aux auditeurs incrédules de Jésus qui n’accèderont pas au Royaume de Dieu.
Comme souvent, la parabole a été interprétée de façon allégorique,[13] en identifiant les différents invités à des catégories de personnes. Dans ce cas, l’hôte qui invite représente Dieu et son serviteur son Fils. Les premiers invités représentent le peuple juif, qui refuse l’invitation. Les suppléants sont en premier lieu les pauvres d’Israël et ensuite les peuples païens. Pareille interprétation peut être abusive, car les paraboles interrogent sur le jeu des personnages entre eux plutôt que sur des identifications. Ce sont ces interactions entre personnages qui sont significatives du rapport à autrui et à Dieu. Autrement dit, nous sommes à la fois, successivement ou simultanément, les premiers invités, les pauvres de la ville et les gens de l’extérieur, mais également l’homme qui invite et son serviteur.
Dieu nous invite tous à participer aujourd’hui à son Royaume. Mais quelle réponse lui accordons-nous ? N’invoquons-nous pas parfois des prétextes ou de bonnes raisons pour décliner l’offre ? Des choses urgentes à faire, des motifs professionnels ou familiaux ? Quelles sont nos priorités ?
Dieu privilégie les pauvres. Reconnaissons-nous nos pauvretés ? Avons-nous suffisamment d’humilité pour nous abandonner dans la confiance ? Quelle attitude adoptons-nous envers les pauvres au sein de nos communautés ? Ne sommes-nous pas souvent suffisants ou dominateurs ?
Dieu n’a pas d’exclusive envers les gens de l’extérieur. Quelle attitude avons-nous par rapport à ceux qui sont en dehors de l’Eglise, qui ne pensent pas comme nous ? Que faisons-nous pour les intégrer, les accepter sans leur faire violence, sans en faire nos obligés ?
Bienheureux sommes-nous lorsque nous partageons avec les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux la Parole que Dieu nous donne et le pain du Royaume qu’il a préparé pour tous !
[1] Parabole du festin nuptial (Mt 22,1-10).
[2] Contrairement à Matthieu, qui s’adresse à des chrétiens d’origine juive, Luc écrit pour une communauté chrétienne d’origine païenne.
[3] Choisir la dernière place (Lc 14,7-11).
[4] Inviter les pauvres (Lc 14,12-14).
[5] Une révélation semblable à celle de l’Apocalypse : Heureux ceux qui sont invités au festin des noces de l’Agneau (Ap 19,9).
[6] Il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les prophètes, dans la Royaume de Dieu, et vous serez jetés dehors (Lc 13,28).
[7] Ainsi de même, la parabole du bon samaritain (Lc 10,25-37), ne présente-t-elle que trois personnages.
[8] Le mariage qui lui sert de prétexte est peut-être une allusion à la recommandation de préférer Jésus à sa propre famille : Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut être mon disciple (Lc 14,26).
[9] L’énumération de ces catégories de personnes fait référence à la prophétie d’Isaïe : En ce jour-là, les sourds entendront la lecture du livre et, sortant de l’obscurité et des ténèbres, les yeux des aveugles verront. De plus en plus, les humbles se réjouiront dans le Seigneur, et les pauvres gens exulteront à cause du Saint d’Israël (Is 29,18-19).
[10] Heureux, vous les pauvres : le Royaume des cieux est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant : vous rirez. Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu’ils vous rejettent et qu’ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel ; c’est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes (Lc 6,20-23).
[11] Les anawim, dont parlent les prophètes Sophonie, Amos et les psaumes, mais aussi le Magnificat.
[12] Les interprétations de la parabole qui, dans l’histoire du christianisme ont légitimé des conversions forcées sont ainsi abusives, elles ne correspondent pas à l’esprit de l’évangile.
[13] L’allégorie est un genre littéraire grec, qui fait plus appel à l’abstraction, alors que la parabole est d’un genre littéraire sémite, beaucoup plus concret.