
Quand il s’adresse aux foules, Jésus s’adresse en paraboles. On trouve, chez Matthieu, deux explications à cette manière de procéder. D’abord, les paraboles révèlent les choses cachées depuis la fondation du monde (13,33). Ensuite, la connaissance des mystères du Royaume est réservée aux disciples, tandis qu’aux autres, cela n’est pas donné (13,11). L’accès ou l’accession au Royaume se décident par l’accueil ou le refus de la personne et de l’enseignement de Jésus.
Les paraboles forment un genre littéraire sémite fonctionnant avec ses règles propres. Ce sont des récits concrets qui viennent illustrer des vérités plus fondamentales par des exemples. Leur interprétation se fait par le jeu des personnages entre eux. Ce sont ces subtiles relations entre personnages et situations qui viennent dire quelque chose sur l’humanité et ses rapports à Dieu. Il ne faut pas trop y rechercher des identifications de personnages, comme dans les allégories, mais plutôt voir comment on se laisse traverser par chacun des personnages ou des situations[1].
Après s’être adressé à la foule par la parabole du bon grain et de l’ivraie (13,24-30), Jésus se tourne vers ses disciples pour leur en donner la signification. Ce n’est pas la première fois que l’évangéliste utilise ce procédé, puisqu’il avait auparavant donné l’explication de la parabole du semeur (13,18-23). Dans les deux cas, il s’agit d’interprétations allégoriques, qui font penser à des exégèses qu’auraient faites les premières communautés chrétiennes des paraboles de Jésus. De plus, l’interprétation va plus loin que l’enseignement de la parabole proprement dite pour dégager une leçon morale.
La moisson est une image biblique traditionnelle de la fin des temps. C’est à ce moment-là seulement que le bon grain sera séparé de l’ivraie. Alors les justes recevront le Royaume en récompense, où ils resplendiront comme le soleil. À l’opposé, les injustes – les scandaleux et les iniques – chuteront dans la fournaise, là où il y aura des pleurs et des grincements de dent. Le mal doit être extirpé au jugement de la fin des temps. Le faire avant serait risquer d’endommager le bon grain. Nous devons faire la part en nous de ce qui est bien et de ce qui est mal, mais pas de manière prématurée ni précipitée. Ne pas gâter ce qui est bien en nous sous prétexte d’en extirper le mal. Ne pas décourager non plus ceux qui s’adressent à nous sous prétexte de les purifier ou de les corriger trop vite.
L’ivraie est un nom collectif donné aux plantes nuisibles à l’agriculture (telles les ronces ou les épines). Ces mauvaises herbes qui poussaient en même temps que le blé étaient récoltés à la moisson. Elles étaient ensuite séchées pour enfin être brûlées et utilisées comme assolement ou comme combustible.
On peut ainsi faire un bon usage de ce qui est en principe mauvais. Et d’un mal tirer un bien. Lorsque l’évangile nous parle de fournaise, on peut de même se demander si ce feu n’est pas donné à titre d’exemple. Le mal n’acquière-t-il pas alors un certain rôle d’exemple ?
L’évangile ne se borne pas à donner une explication du mal, mais il agit. Il offre une solution actuelle, dans notre vie quotidienne. Pas simplement une explicitation des choses, mais une action de salut. La Parole de Dieu ne se contente pas d’éclairer le mal, mais elle se propose de la vaincre. La réalité s’en trouve alors transformée. Celui qui a des oreilles, qu’il entende !
[1] Ainsi par exemple, dans la parabole du fils prodigue (Lc 15,11-32), plutôt que de chercher à identifier qui sont le père, le fils cadet et le fils aîné, il convient mieux de voir à quels moments et sous quels aspects, je suis à la fois le fils cadet, le fils aîné, mais aussi le père.