
Matthieu concentre, dans cette partie de son évangile, des paroles de Jésus utiles à la polémique que sa communauté ecclésiale entretient avec la Synagogue de son temps, d’obédience pharisienne. Dans une progression orchestrée, il dresse d’abord un portrait des scribes et des pharisiens pour se lamenter contre eux, les invectiver, annoncer leur jugement et enfin se lamenter sur Jérusalem. Il met en scène la venue de Jésus à Jérusalem dans son chemin qui le mène à sa Passion et sa résurrection. Le contexte est celui du Temple de Jérusalem, où Jésus s’est rendu pour y prodiguer son enseignement.
Jésus reconnaît l’autorité des scribes et des pharisiens et ne s’élève pas contre leur enseignement ni leur attachement à la Loi, mais il critique les incohérences entre leurs actes et leurs discours. Il dénonce leur culte à la Loi qui devient une idolâtrie. Il leur reproche de se poser comme les artisans de leur propre salut. Il souligne leur mépris envers ceux qui n’ont pas la science de la Loi et des traditions.
La formule de Jésus contre ses détracteurs est célèbre – « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites » – et sonne comme une condamnation sans appel. Elle paraît cependant être nuancée dans une autre traduction : « Prenez garde, scribes et séparés comédiens »[1]. La mise ne garde de Jésus n’est pas une malédiction, mais plutôt l’expression d’une douleur, d’une indignation pouvant aller jusqu’à une menace prophétique. Elle s’adresse aux autorités du Temple dont beaucoup étaient pharisiens – séparés dans une traduction littérale. Leur hypocrisie relève du jeu de la comédie – les comédiens jouaient avec un masque – et réside dans leur casuistique qui oriente la piété vers des prescriptions secondaires au détriment des commandements principaux de la Loi. Autrement dit, ils masquent l’essence de la Loi par un fatras de rites et d’usages secondaires.
Jésus va plus loin. L’insistance des pharisiens sur des points particuliers fait d’eux des guides aveugles. Leur aveuglement symbolise l’incrédulité à la foi, des ténèbres à la lumière. Ceux qui se targuent d’être éclairés ne sont pas à même de voir celui qui apporte la lumière du salut. Par leurs pratiques, ils s’enferment dans les ténèbres et la perdition.
Jésus met ainsi en exergue deux pratiques des pharisiens, la dîme et la purification. La dîme d’abord, dont les pharisiens avaient étendu la pratique aux produits les plus infimes de la terre au détriment des prescriptions fondamentales telles que la justice, la miséricorde, la foi. La purification ensuite, dont ils détournent le vrai sens, qui n’est pas extérieur mais intérieur.
Même si la querelle de Jésus avec les Pharisiens, ou celle de la communauté de Matthieu à la Synagogue, nous paraissent bien loin de nos préoccupations quotidiennes, son enseignement reste bien actuel pour nous dans le discernement de nos attitudes. La question de la cohérence entre le dire et le faire est toujours posée et le meilleur témoignage n’est pas dans les paroles, mais dans les actions qui viennent appuyer ces paroles. L’hypocrisie nous guette toujours parce qu’il n’est pas évident parfois de faire la différence entre ce qui est fondamental et ce qui est secondaire, quand il est plus facile de dissimuler ou de masquer la réalité. L’aveuglement peut survenir quand on croit être dans son bon droit ou si l’on est guidé par l’orgueil ou la vanité. En toutes choses, le seul guide est le Christ, lumière du salut.
[1] Bible Segond.