
Comme chaque mardi et dimanche, Alexis Dehovre nous partage sa méditation sur l’évangile. Merci à lui de nourrir notre réflexion sur la parole.
Depuis toujours, la lèpre est synonyme de rejet absolu. La maladie a été et continue à être endémique dans certaines régions du globe. Les mesures prophylactiques d’éloignement ont partout été privilégiées pour en éviter la propagation.[1] Mais ces dispositions ont le plus souvent trahi la répulsion, l’angoisse et la peur que suscite la maladie. Le lépreux est ainsi la figure archétypale de l’exclu. Sa pathologie évoque les terreurs enfouies dans l’inconscient collectif le plus profond. Son diagnostic signifie condamnation à mort, bannissement, radiation de la vie sociale.
Le lépreux de l’évangile est le modèle de tous ceux qui sont tenus à l’écart de la société, du clan, de la famille. Il existe divers motifs pour mettre certains individus en marge des communautés. Certains parce qu’ils constituent un danger, réel ou fictif, pour la population, qu’ils sont ressentis comme une menace, qu’ils inspirent crainte, dégoût ou antipathie.
D’autres par contre sont mis à l’écart simplement parce que les difficultés qu’ils rencontrent sont cause de malaise, culpabilisent. Ceux à qui arrive malheur sur malheur, alors que tout va bien pour nous, ou qui nous renvoient une image de nous-mêmes qui nous est insupportable.
Les lois divines ou humaines ont érigé entre les lépreux et les populations saines des barrières réputées infranchissables. Dans le judaïsme, la séparation est rituelle entre le pur, source de vie, et l’impur, qui mène à la mort.[2] Le pourrissement de la chair[3] était perçu comme l’image de la pourriture de l’âme. Le mal était considéré comme une punition divine infligée pour de grands péchés. Le lépreux était donc une personne impure, et à ce titre exclue de toute société humaine par la Loi de Moïse.[4]
Celui qui était impur[5] avait interdiction de s’approcher ou de toucher toute autre personne, sous peine de la rendre impure. C’est à cet interdit que s’attaque Jésus. En touchant le lépreux, il indique sa volonté de transgresser la Loi. Pour lui, la vraie pureté n’est pas extérieure, mais celle du cœur.[6] Jésus se réfère uniquement au commandement d’amour. Son geste symbolise et signifie qu’il rend caduque la loi de pureté en l’inversant. Loin de se rendre impur, il purifie l’homme, le relève et le restaure dans sa dignité d’être humain.
On aborde ici tout le paradoxe des épidémies de maladies transmissibles.[7] Il est légitime de se protéger, et de protéger toute la communauté du risque de contamination, par exemple en prohibant tout contact physique. Mais par ailleurs, il est aussi essentiel de manifester sa solidarité, sa compassion et son respect aux personnes malades. L’absence de contacts physiques ne doit pas signifier l’exclusion, elle doit être compensée par une attention et un souci des plus défavorisés. Nous ne pouvons le faire qu’en imitant le Dieu saint, qui toujours montre son amour aux plus démunis, leur donne la santé et les relève. Nous avons ainsi le devoir d’humaniser, d’habiter de notre amour, les règles sanitaires indispensables.
La lèpre est perçue comme un mal contagieux.[8] Mais il n’y a pas que le mal qui soit contagieux, l’amour l’est aussi. En modifiant notre point de vue, en changeant notre regard, notre attitude, comme le fait Jésus, nous pouvons entraîner d’autres à le faire de même. Et celui qui se sentait, peut-être à tort, tenu à l’écart, pourra retrouver la joie de vivre parce qu’il se sent aimé, accueilli par une communauté.
La guérison du lépreux n’est pas n’importe quelle guérison, elle manifeste que Jésus triomphe du mal dans ce qu’il a de plus déshumanisant. Il n’hésite pas à rejoindre l’homme au plus profond de sa déchéance, le relever de la mort et le délivrer. Son amour libère et renouvelle, fortifie et guérit. Son geste[9] nous invite à découvrir d’autres gestes[10] pour manifester combien nous sommes touchés par la détresse de ceux qui souffrent et pour briser leur isolement.
[1] Particulièrement aux époques où aucune antibiothérapie n’était connue ou disponible, mais pas uniquement.
[2] Les chapitres 13 et 14 du livre du Lévitique traitent de la lèpre. Å les lire, le mot qui désigne la lèpre, tsaraat, ne correspond pas à la pathologie médicale, mais à une maladie spirituelle ayant des stigmates corporels et qui touche la personne s’étant rendu impure par ses comportements sociaux (la calomnie et la dénonciation). C’est la raison pour laquelle le traitement en était confié aux prêtres. Ainsi Jésus renvoie-t-il le lépreux guéri se montrer au prêtre pour faire constater la disparition des symptômes.
[3] L’agent de la lèpre est une bactérie, Mycobacterium leprae, proche de celui de la tuberculose.
[4] Tant qu’il gardera cette plaie, il sera impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp (Lv 13,43).
[5] Cela concerne le lépreux, mais aussi la femme en période de règles ou ayant accouché, etc.
[6] Pour cette pureté du cœur, voir par exemple les discussions avec les Pharisiens sur les traditions (Mc 7,6-9).
[7] Il faut différencier les mesures préventives, entre autres de prévention secondaire, des maladies transmissibles endémiques (telle la lèpre) et épidémiques ou pandémiques (telle la Covid 19).
[8] Sa contagiosité, surtout par contact, est cependant modérée, nettement moindre que celle des maladies à diffusion aéroportée.
[9] Ce geste de toucher n’est certes pas approprié dans le cas du Coronavirus.
[10] Le geste le plus évident semble être d’accepter la vaccination, mais il y en a d’autres, se conformer aux règles et recommandations quand la situation sanitaire l’exige telles renoncer aux déplacements inutiles, particulièrement à l’étranger, ou limiter les contacts et les réunions physiques, etc. Sans parler de toutes les initiatives sur les réseaux sociaux ou dans la pastorale hospitalière.