
L’amour de l’ennemi constitue le noyau de la radicalité de Jésus. Une révolution d’amour qui ne s’appuie pas sur les stratégies ou les ressources humaines, mais qui est un don de Dieu que l’on ne peut obtenir que par une confiance sans réserve à son bonté miséricordieuse. Voilà la force de l’Evangile qui change le monde par l’audace de sa nouveauté.
Jésus nous provoque. Aujourd’hui, sa provocation touche des points très sensibles de nos rapports aux autres : l’amour, la haine, la violence, la vengeance. Des sujets qui font mal, qui nous interpellent au plus profond de nous, car ils attisent nos désirs inconscients et révèlent nos pulsions les plus cachées.
Comment nous comportons-nous ? Pour qui est gentil, nous avons de l’empathie, mais nous mordons qui nous astique. Nous sommes bienveillants envers qui est bienveillant, nous sommes prévenants pour nos proches, nos familles et nos amis. Voilà notre discernement. Les exigences de Jésus sont très loin et nous paraissent démesurées. Notre prétendue raison n’est-elle pas folie devant la sagesse de Dieu ?
Nous aimons ceux qui nous aiment. Nous sympathisons avec ceux que nous apprécions, comme le font nos contemporains. Pourtant nous nous prétendons chrétiens. Qu’est-ce qui nous différencie alors des autres dans nos attitudes, quelle est notre valeur ajoutée comme chrétiens ? Si nous sommes enfants de Dieu et bien-aimés de lui, cela devrait se voir !
On aime souvent par calcul, parce qu’on en espère quelque chose en retour. Dieu, lui, aime parce qu’il est Amour, parce qu’il est la Vie et que l’amour seul fait jaillir la vie. Être saint, c’est accueillir l’amour de Dieu, se laisser habiter par lui, vivre sous son regard et se laisser ajuster à Dieu.
Quand nous nous sentons agressés, notre réflexe naturel est de nous défendre en montrant les dents, de rendre la monnaie de la pièce, de nous montrer le plus fort. Ce n’est pas la manière de faire de Dieu, qui nous invite à inverser le processus. La violence engendre la surenchère du mal. Et la loi du talion, œil pour œil, dent pour dent, n’est jamais qu’un pis-aller. Pour casser la logique de la violence, il faut en démonter le mécanisme aux yeux de l’adversaire, quitte à le provoquer par la non-violence.
Il ne s’agit en rien de passivité, mais bien de refuser de répondre aux violences par les mêmes méthodes que les agresseurs et d’opposer des gestes d’ouverture et d’avenir à des actes de malveillance. En ne laissant pas agir nos réflexes vengeurs, mais l’Esprit de Dieu en nous. On ne répond pas à haine par la haine, mais par l’amour. Le mal ne peut engendrer que le mal, seul le bien permet de sortir de la spirale de la violence. Remplacer le cercle vicieux de la brutalité par le cercle vertueux de la paix.
Quand Jésus dit de tendre la joue gauche, il ne prône pas la soumission. Il provoque celui qui l’attaque pour lui faire prendre conscience de l’offense qu’il fait. Il lui montre l’endroit où il est blessé. Pour que l’autre le reconnaisse, en soit déstabilisé et puisse se corriger. Impossible en effet de s’amender quand on ne connaît pas l’étendue de ce qu’on cause. Jésus ne punit pas le pécheur, il cherche sa conversion.
Aimer son ennemi nous semble impossible. Le verbe qu’utilise Jésus ne fait pas appel à l’attirance ou à l’attrait amical – qui en l’espèce est illusoire – mais à un acte de volonté. Ce qu’il veut signifier relève donc d’un amour volontaire qui se traduit par le respect. Il est tout à fait légitime de ne pas apprécier ses adversaires, mais il est souhaitable de les respecter. Aimer s’entend alors comme une détermination à leur reconnaître une légitimité d’existence, en entretenant une résolution de bienveillance. Un amour qui doit aussi aller jusqu’à ne pas hésiter à réprimander son compagnon.
Aimer comme le Christ aime, sans retour et sans compromission. S’abandonner à la nouveauté toujours inédite de Dieu. Entrer dans la logique de Jésus, dans la joie des Béatitudes, et découvrir avec lui le vrai bonheur, dans la paix qu’il nous donne.