
voici la méditation d’Alexis pour ce dimanche.
Curieux raisonnement que celui des vignerons de la parabole, et qui manque de logique. Qui pourrait imaginer en effet qu’en assassinant le fils du propriétaire, les ouvriers allaient recevoir la vigne en héritage ? C’est là le drame de la volonté d’accaparement et de possession qui obscurcit la conscience, fausse la vue, fourvoie notre humanité et la mène à sa perte quand elle n’est pas capable d’imaginer le don qui lui est fait. Pourtant, ce Fils de l’Homme, condamné et mis à mort par les hommes, leur apporte le salut et les rend héritiers du Royaume de son Père. Paradoxe de la grâce de l’amour de Dieu, qui transforme les existences, éclaire les discernements et procure la liberté.
La parabole des vignerons homicides – qui refusent, rejettent, ne veulent vivre qu’à leur propre compte et commettent l’irréparable – stigmatise des attitudes que nous pouvons retrouver aujourd’hui. Elle rejoint l’expérience de ce que nous savons de notre humanité, de nous-mêmes. L’évangéliste Matthieu l’écrit dans une perspective catéchétique et en explicite le sens ecclésial en la recadrant dans l’histoire de l’Alliance. Le fils est venu en dernier lieu pour résoudre le conflit entre Dieu et son peuple, mais sa venue a entraîné son rejet et sa mise à mort par des misérables. Dès lors la parabole nous dit à la fois quelque chose sur la conscience qu’a Jésus de sa mission et sur la manière dont l’Eglise primitive reçoit cette mission, dans son caractère absolument définitif pour l’Alliance.
L’histoire du salut est définitivement marquée par l’intervention péremptoire de Jésus, pierre d’angle[1]du Royaume. Rejeté et condamné à la mort de la Croix, il ressuscite pour la rédemption de l’humanité et l’édification du Temple de l’Alliance nouvelle. Le Règne de Dieu sur les petits, les humbles et les exclus est désormais inauguré dans la Pâque du Christ.
Il faut éviter de faire de la parabole, tout particulièrement de son nœud et de son dénouement tragique, une lecture purement historique et passéiste. Assimiler le peuple juif aux vignerons homicides[2] supplantés par une Eglise triomphante[3] relève de l’erreur d’interprétation et de la confusion des genres.[4] Jésus pense sans doute, à propos de cette nation qui fera produire ses fruits au Royaume, au peuple des petits et des pauvres, ce petit peuple des Béatitudes du discours sur la montagne,[5] qui l’accompagne sur les routes de sa mission. Produire du fruit ne se comprend que dans la perspective et l’intelligence de ce qu’il déclare par ailleurs : Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.[6] L’avertissement vaut pour tous. Si bien que nous sommes tous soumis au grand défi de porter du fruit et que nous sommes tous susceptibles de faillir à la mission qui nous est assignée, dans la longue histoire de l’Alliance et du salut.
Plutôt que de nous débarrasser des exigences de l’Alliance et de reporter les manquements et les fautes sur les autres, nous sommes ramenés à cette exigence simple de produire de bons fruits dans le concret de nos existences, fruits de justice, d’amour et de paix. Et de nous rappeler que la faute des vignerons homicides, c’est d’avoir voulu prendre ce qu’ils avaient à recevoir.
[1] La pierre que les maçons ont rejetée est devenue la pierre angulaire. Cela vient du Seigneur : c’est une merveille à nos yeux (Ps 118,22-23). La référence formelle au psaume 118 donne au texte une signification clairement messianique. En effet, dans sa rédaction, ce psaume célèbre la reconstruction du Temple après l’exil, et dans son usage liturgique, il est un psaume de la Pâque.
[2] Ce qui a largement contribué à répandre dans la chrétienté l’image du peuple juif déicide et à alimenter l’antisémitisme, les persécutions et les pogroms.
[3] Et dominatrice ! Il est difficile de revenir de ces tendances.
[4] Il ne faut pas confondre parabole et allégorie. Dans l’allégorie, genre littéraire grec, les personnages représentent des personnes et l’interprétation consiste à trouver qui ils représentent. Dans la parabole, genre littéraire sémite, par contre, les personnages représentent eux-mêmes et l’interprétation consiste à les faire jouer entre eux pour dégager ce que leur jeu de rôle veut signifier de nous et de Dieu.
[5] Les Béatitudes (Mt 5,1-12).
[6] Le jugement (Mt 25,40).