
La Toussaint en appelle à la joie d’être tous saints. Saints parce que consacrés, mis à part, purifiés dans le sang de l’Agneau.[1] L’Église primitive appelait saints tous les fidèles, car elle gardait prégnante l’idée que tous ont été sanctifiés dans le salut apporté par la mort et la résurrection du Christ. La sainteté, par la grâce du Seigneur, est ainsi l’état de vie normal du chrétien. Et chacun est appelé à s’en réjouir.
Dans les Béatitudes, Jésus appelle au bonheur. Précisément, il met en avant [2]les humbles, les pacifiques et ceux qui mettent en pratique les paroles d’amour de Dieu. Un bonheur paradoxal, qui ne traduit pas nécessairement les aspirations de bien-être matériel, de réalisation, de prospérité de l’être humain.
L’image que l’Église véhicule habituellement de la sainteté est celle d’une vie toute entière consacrée à Dieu. Les exemples mis en exergue sont ceux d’existences d’abnégation, de privation, de souffrance. Et la plupart des saintes et saints sont des martyrs, des vierges, des religieuses ou des pasteurs. Rarement des gens banals, avec des problèmes ordinaires, qui portent simplement le poids du jour, à la vie rythmée par les joies et les soucis quotidiens. Pour certains, l’idéal proposé relève d’un repoussoir.
La sainteté ne doit pas être un objectif utopique qui serait imposé de l’extérieur. C’est un désir qui habite le cœur de l’être humain, même s’il n’y a pas mis de nom. Un souhait de se débarrasser de toutes les ambiguïtés que l’on traîne au fond de soi. On sent bien que l’on doit être en vérité avec les autres et avec Dieu, simplement pour être plus heureux maintenant. L’appel à la sainteté ne doit pas conduire à une quête anxieuse de ce qui ouvrirait les portes de l’au-delà. C’est un appel au bonheur serein de vivre, dans la lumière et la tendresse de Dieu, l’aujourd’hui de l’existence. Dans la paix de l’amour de Dieu.
Jésus, dans les Béatitudes, dresse un catalogue, un ordre de marche pour la réalisation du Royaume de Dieu. Ce règne ne doit pas être projeté entièrement dans l’au-delà de la mort. Il commence maintenant, Jésus vient l’inaugurer et il sollicite notre participation à sa réalisation. Est bienheureux celui qui, mettant à profit les dons de Dieu, éprouve dès aujourd’hui un certain bonheur et une réelle joie, et qui, restant fidèle au chemin tracé, sera déclaré juste à l’avènement définitif du Royaume. Ce bonheur, le Christ l’a annoncé aux pauvres de la société de son temps, car c’est d’abord en faveur des faibles et des petits que Dieu entend faire peser la puissance de son règne. Bienheureux sont-ils dès maintenant.
Les Béatitudes chantent le bonheur de ceux qui s’ouvrent à Dieu dans une humilité confiante et le refus de toute violence. Elles orientent aussi vers un comportement empreint de justice, de réconciliation, de paix, de charité, de pardon, de loyauté, de souci de bonne entente. Une attitude qui suscite l’opposition, entraîne l’incompréhension et la persécution, parce qu’elle manifeste un Royaume inacceptable pour les tenants de la violence et de la domination. Bienheureux ceux qui luttent pour un tel Royaume.
Les appels lancés par Jésus dans les Béatitudes nous révèlent, comme en creux, la présence de Dieu au cœur de notre vie quotidienne. Un Dieu qui vient rencontrer nos doutes, nos blessures, nos lézardes de la douceur de son amour. Un Père qui console tendrement ses enfants. La sainteté ne relève pas de l’élitisme ou de la perfection, elle est pure grâce de Dieu qui vient visiter l’ordinaire de notre humanité. Une grâce du Père qui nous introduit dans la plénitude de son amour.
[1] Apocalypse de Jean (7,14).
[2] Chouraqui, dans sa version de la Bible, traduit « Bienheureux » par « En avant ».