
Jésus en appelle aujourd’hui à la vigilance. Personne ne sait de quoi demain sera fait, et il faut se tenir prêts. On pense bien sûr, comme les disciples à qui il s’adresse, à son retour en gloire quand le monde présent sera définitivement passé. Ou encore à sa venue imprévisible dans le quotidien de nos vies, puisqu’il nous a promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps.[1] Enfin, dans un monde en plein bouleversement, l’être humain est d’avantage confronté à l’évidence de sa propre finitude. Et ainsi, devant l’éventualité d’une mort inattendue, la vigilance se décline en une prévoyance de bon aloi.
La parabole des dix vierges appartient à un ultime enseignement de Jésus au Mont des Oliviers, après qu’il soit sorti du Temple où il était confronté aux autorités juives. Désormais il pressent que le temps lui est compté, et qu’il se dirige inexorablement vers son arrestation, sa passion et sa mort. Son attitude n’a rien d’attentiste, il est tourné vers sa résurrection et prépare ses disciples à la perspective de rapports renouvelés à lui. Son esprit est tout entier orienté vers l’urgence du Royaume qui vient.
En écoutant la parabole, nous avons une sympathie spontanée pour les cinq jeunes filles insouciantes. Comme nous sommes indulgents envers le pauvre qui n’avait pas de vêtement de noce[2], ou comme nous avons pitié du serviteur qui n’avait reçu qu’un talent[3]. Notre attitude pose question. Pourquoi sommes-nous portés à pardonner ce que Dieu réprouve ? Serions-nous plus charitables que lui ?
Peut-être nous méprenons-nous sur la vraie nature de la charité. Aimer en vérité ne consiste pas à être complaisant et absoudre les manquements des autres pour pouvoir justifier nos faiblesses. Car l’amour n’est pas ce petit lot de sentiments mêlés qui nous agitent et auquel Dieu lui-même serait prié de se conformer. Gardons-nous de vouloir configurer Dieu à l’image de ce que nous sommes, il est le Tout-Autre. L’amour n’est pas ce que nous croyons, c’est celui en qui nous croyons qui est l’amour.
Ce n’est pas par égoïsme mesquin que les jeunes filles prévoyantes ont gardé leur huile. L’huile en effet symbolise l’amour, et l’amour ne s’emprunte pas, il ne s’achète pas. La situation est urgente et exige de chacun une conversion personnelle et radicale. Ce que confirme Jésus : Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.[4] Seul l’amour que nous avons-nous permettra de tenir dans la longue attente.
Se tenir prêts signifie certainement être vigilants, mais peut-être surtout être prévoyants. La prévoyance suppose de ne pas se laisser emprisonner par des besoins limités et immédiats. Elle sous-entend une perspicacité, une prudence, une clairvoyance, une projection des événements à long terme. Une claire vision des enjeux, de ce qui est essentiel, en l’occurrence de disposer de lumière en suffisance.
Par conséquent, la lampe ne suffit pas, il faut aussi de l’huile. La prévoyance est sagesse et expérience des choses. L’expérience est toujours personnelle, même si l’on peut beaucoup apprendre de celle des autres. Même si une lampe peut se partager pour donner de la lumière, elle doit disposer de son propre combustible. Personne ne pourra ainsi faire le chemin à la place de quelqu’un d’autre. Cela reviendrait tout simplement à se substituer à lui.
Être prévoyant ne signifie pas vivre dans l’angoisse de l’imminence de la fin. L’angoisse est un sentiment irrationnel qui paralyse. La prévoyance, au contraire, est une disposition qui permet d’aller de l’avant, d’envisager notre foi dans la durée en préservant l’espérance.
Dieu nous jugera sur notre fidélité, notre constance, à la confusion de ceux qui ne vivent que de l’instant présent, dans l’ivresse d’une plénitude fallacieuse sans hier ni demain. L’authentique présent tire les leçons du passé et prépare le lendemain. Voilà qui est Bonne Nouvelle pour nous aujourd’hui.
[1] Mt 28,20.
[2] Parabole des noces (Mt 22,1-14).
[3] Parabole des talents (Mt 25,14-30).
[4] Mt 25,13.