
La doctrine de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie est érigée en dogme[1] dans l’Eglise Catholique. Autrement dit une affirmation fondamentale, incontestable et intangible de la foi, révélée par Dieu et qui engage tous les fidèles. Elle signifie que la Vierge Marie a été, par les mérites de son Fils, conçue exempte du péché originel. Il ne faut pas la confondre avec la naissance virginale du Christ, ni la virginité perpétuelle de Marie. L’Immaculée Conception est célébrée le 8 décembre, jour traditionnel de la fête de la Conception de Notre Dame, neuf mois avant la fête de sa nativité.[2]
La genèse de la doctrine remonte à l’époque patristique. C’est ainsi peu après la période apostolique que des Pères de l’Eglise[3] tant orientale qu’occidentale ont exprimé la nature immaculée de Marie. La doctrine s’est élaborée pendant le Moyen-Age par des théologiens principalement franciscains,[4] tout en connaissant des détracteurs.[5] Elle a surtout connu la faveur des fidèles au XIX° siècle, sous l’influence du romantisme.[6] Après la parution du dogme[7], celui-ci a fait l’objet de précisions par le second Concile du Vatican au XX° siècle.[8]
La promulgation du Dogme de l’Immaculée Conception s’inscrit dans un moment particulier de l’Histoire ecclésiastique. Une période dominée par les troubles politiques et militaires liés à la constitution de l’état italien et le déclin des états pontificaux. Mais aussi par les réactions obsidionales d’une Eglise confrontée aux crises du modernisme[9] et partagée entre des tentations centripètes et centrifuges.[10] La déclaration du Dogme de l’Immaculée Conception par le pape[11] participe alors à une dynamique qui aboutira, après la sanction du modernisme[12], au Dogme[13] de la primauté pontificale et de l’Infaillibilité pontificale.[14]
Le Dogme de l’Immaculée Conception est le premier à avoir été défini par un pape, la promulgation des dogmes avait été jusqu’alors l’apanage des seuls conciles. Il a cependant fait l’objet d’une consultation des évêques.[15] Cette prérogative du pape anticipe et justifie la déclaration de son infaillibilité. Ou encore, l’infaillibilité du dogme (de 1854) précède et soutient le dogme de l’infaillibilité (de1870). D’autre part, la définition était une prise de position contre le monde moderne et se posait comme une puissante proclamation de la foi contre le rationalisme et toutes les philosophies profanes de l’époque.[16]
La doctrine de l’Immaculée Conception ne fait pas l’unanimité au sein des Eglises chrétiennes. Au sein du catholicisme lui-même, elle a été longtemps discutée,[17]ou encore fait l’objet de critiques de certains partis.[18] Sa popularité n’a été bien établie qu’à partir du XIX° siècle. Elle a même été une des raisons du schisme des Vieux-Catholiques, qui l’ont toujours refusée.[19]
L’Eglise orthodoxe célèbre la Vierge Marie comme la toute sainte, la toute pure, la toute bienheureuse, la toute glorieuse, la toute immaculée. Sans pour autant la définir comme exempte du péché ancestral. En orthodoxie, l’absence de péché personnel chez Marie est le fruit de sa volonté joint à l’abondance de grâce répandue sur elle. Marie incarne le libre élan de Dieu vers l’humanité non rédimée encore.[20] Lorsque l’Esprit saint vient sur elle, il vient la purifier et préparer un tabernacle digne de l’habitation du Verbe. Face au dogme de l’Immaculée Conception, l’orthodoxie conteste qu’il résulte de l’enseignement des Pères, elle déclare qu’aucun des hommes n’est exempt du péché ancestral et que l’incarnation du Verbe et Fils de Dieu, de l’Esprit saint et de la Vierge Marie est seule pure et immaculée.[21]
La sensibilité protestante limite généralement les rapports à Marie à ce qu’en disent explicitement les Ecritures et se méfie d‘affirmations qui ne reposent pas directement sur la révélation divine. La doctrine de l’Immaculée Conception n’échappe pas à cette règle. Ainsi, les protestants sont pour la plupart opposés à l’idée d’absence de péché originel chez Marie.[22] De même, ils estiment que certains éléments de dévotion à Marie peuvent être excessifs, voire tendre à la mariolâtrie.[23]
[1] Constitution apostolique Ineffabilis Deus du pape Pie IX du 8 décembre 1854.
[2] C’’est la date de la fête de la nativité de la Vierge Marie qui a déterminé celle de la fête de sa conception. Elle correspond au jour anniversaire de la dédicace de l’église sainte Anne à Jérusalem, le 8 septembre.
[3] Parmi les plus célèbres, on peut citer Grégoire de Nysse (330-395), Ambroise de Milan (340-397), Augustin d’Hippone (354-390), Proclus de Constantinople (390-446), Anastase d’Antioche (avant 599), Sophrone de Jérusalem (560-638).
[4] Tels Jean Duns Scot.
[5] Les plus célèbres opposants de la doctrine de l’Immaculée Conception de cette époque étaient Bernard de Clairvaux (connu par ailleurs pour sa piété mariale) et Thomas d’Aquin.
[6] Tout particulièrement en France avec les apparitions de la rue du Bac à Paris (Catherine Labouré et la Médaille miraculeuse, 1830) et de Lourdes (où la Vierge se présente en patois à Bernadette Soubirous comme l’Immaculée Conception, 1858).
[7] Nous déclarons, prononçons et définissons la doctrine qui tient que la Bienheureuse Vierge Marie a été au premier instant de sa conception par une grâce et une faveur singulière du Dieu Tout-Puissant en vue des mérites de Jésus Christ Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles (Pie JX, Ineffabilis Deus).
[8] Marie a été rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils (Lumen Gentium 53). Elle est indemne de toute tache de péché ayant été pétrie par l’Esprit Saint (elle a été formée comme une nouvelle créature (Lumen Gentium 56).
[9] Les Lumières, le relativisme, la liberté de pensée, la franc-maçonnerie.
[10] L’ultramontanisme, le gallicanisme, la réforme liturgique de Solesmes, pour ne citer que celles-là.
[11] Pie IX (Giovanni-Maria Mastai-Ferretti, 1792-1878), élu pape en 1848, aura un règne de 30 ans.
[12] Le Syllabus errorum paraît précisément le 8 décembre 1864, à la date du dixième anniversaire du Dogme de l’Immaculée Conception.
[13] Constitution apostolique Pastor Aeternus du 18 juillet 1870 à l’issue du premier concile du Vatican.
[14] John O’Malley, Le Concile Vatican I – La pape est-il infaillible ? Editions Jésuites, Lessius, 2019. L’auteur développe les connexions entre les enjeux politico-religieux et la définition des dogmes.
[15] Dans l’encyclique Ut Primum, Pie IX a demandé en 1849 à l’ensemble des évêques leur avis sur la question. Sur les 600 réponses obtenues, 56 ont été négatives et 24 estimaient que la décision n’était pas opportune.
[16] La constitution apostolique Innefabilis Deus cite d’ailleurs le Gaude Maria : Toi seule as détruit toutes les hérésies du monde.
[17] Notamment par les théologiens dominicains.
[18] Sans systématiser les opinions exprimées, il semble cependant qu’elle a été mieux défendue par le mouvement ultramontain que par le parti gallican.
[19] Les Vieux-Catholiques refusent les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Infaillibilité pontificale. Certains théologiens catholiques, principalement allemands et suisses, se sont séparés de Rome en 1870 après le Concile Vatican I sur ces points. Ils ont été accueillis par l’Eglise janséniste d’Utrecht, séparée de Rome au XVIII° siècle.
[20] Vladimir Lossky.
[21] Encyclique patriarcale et synodique du siège de Constantinople de 1895, paragraphe 13.
[22] Même si, aux débuts du protestantisme, Martin Luther n’hésite pas à déclarer que Marie est la seule goutte soustraite par Dieu à l’océan du péché originel et qu’elle fut libérée du péché originel pour que la chair du Rédempteur ne fût pas non plus effleurée par l’ombre du péché.
[23] On ne peut nier ce risque en songeant, par exemple, à certaines tendances sectaires liées à des apparitions mariales non reconnues où les messages des voyants sont en contradiction avec les Ecritures. Ou encore aux développements qu’a pu prendre au siècle dernier la piété mariale dans la branche dissidente de l’Eglise Mariavite (issue de l’Eglise Vieille Catholique) en Pologne : assimilation de Marie à l’Esprit saint, présence réelle mariale dans le sacrement eucharistique.