
En ce 19 mars, nous fêtons Saint Joseph. Cette année à été mise par le Pape François sous la protection de Saint Joseph. Alexis nous partage aujourd’hui une réflexion qui nous aide à mieux comprendre qui est ce Saint assez peu connu.
Figure énigmatique que celle de Joseph le charpentier, dont les Ecritures n’ont retenu aucune parole. Il traverse la vie sans rien dire et disparaît sans qu’on le sache. Une personnalité discrète et nuancée, qui semble s’estomper devant Marie. Cependant, cette présence silencieuse et effacée laisse transparaître, parfois dans les blancs du texte, un rôle essentiel dans l’existence de celui qu’il est convenu d’appeler son fils adoptif. A tel point qu’il n’est pas exagéré de se demander si la part d’humanité qui émane de Jésus eût été la même si Joseph n’avait pas été là comme il l’a été. Le portrait qu’en tracent les évangiles fait nous interroger sur le vrai sens de la paternité.
Les évangiles n’évoquent Joseph que de manière furtive pendant le ministère de Jésus, et toujours dans un contexte qui ne le valorise pas ; Ainsi dans les synoptiques[1], sa figure n’apparait-elle que pour situer Jésus – le fils du charpentier ou le fils de Joseph – lorsqu’il est rejeté par les gens de sa patrie à Nazareth et où il ne fit pas beaucoup de miracles parce qu’ils ne croyaient pas. De même chez Jean[2], il n’est cité qu’à un seul endroit, lorsque Philippe présente Jésus – le fils de Joseph de Nazareth – à son frère Nathanaël, ce qui lui vaut une réplique dubitative – De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? L’association de la filiation humaine de Jésus à des situations non gratifiantes vient souligner qu’il ne se réalisera que par sa filiation divine, qui seule importe aux yeux des évangélistes.
Joseph apparaît cependant comme celui qui introduit Jésus dans la lignée davidique. Il est ainsi reconnu comme appartenant à la descendance du roi David.[3] Les généalogies de Jésus[4], bien que poursuivant des visées différentes, le mentionnent clairement. Mais là aussi, il s’agit moins de montrer la paternité de Joseph que d’inscrire Jésus dans une transmission linéaire l’enracinant dans l’histoire sainte du peuple d’Israël, dans un engendrement qui prend sa source en Dieu et le fait participer à l’œuvre de création.
La personne de Joseph n’intervient que dans les évangiles de l’enfance de Jésus.[5] Chez l’évangéliste Luc, elle n’apparaît qu’en filigrane, ou en sorte de faire-valoir de Marie. Une présence discrète, qui s’efface sans cesse pour mettre en évidence le fiat de la mère et surtout la filiation divine de l’enfant. Marie est accordée en mariage à un homme appelé Joseph, de la famille de David.[6] Le couple habite à Nazareth, en Galilée, et se rend à Bethléem, ville de David en Judée, au recensement de la population.[7] Joseph est auprès de Marie à l’accouchement et à la visite des bergers.[8] Mais ce n’est pas lui qui donne le nom à l’enfant : On l’appela du nom de Jésus, comme l’ange l’avait appelé avant sa conception.[9] Par conséquent, selon la mentalité sémite, Joseph n’est pas le père, mais bien Dieu, qui donne le nom.
Dans la suite de l’évangile de l’enfance de Luc, Joseph n’est plus nommé par son nom, mais uniquement désigné comme membre du couple parental («les parents», «ils» ou «le père et la mère de l’enfant»). Ainsi en est-il dans la Présentation de Jésus au Temple[10], où d’ailleurs le vieillard Syméon semble l’ignorer[11], puisqu’il adresse sa prophétie uniquement à Marie. De même lors des premières paroles de Jésus au Temple[12], Joseph n’est pas cité nommément. La seule mention de père est dans la bouche de Marie : Vois, ton père et moi te cherchons tout angoissés. Et encore, est-ce pour mettre en évidence la réponse de Jésus : Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? Le véritable Père de Jésus, c’est Dieu et il n’y a d’autre place pour Joseph que celle de père adoptif, qui participe de son éducation. La seule relation mentionnée entre Jésus et Joseph est celle de la soumission : Il leur était soumis. Et le seul trait de caractère qui émerge le l’évangile de Luc est celui de l’effacement.
La personnalité de Joseph prend de l’épaisseur avec l’évangile de l’enfance de Matthieu.[13] Il pense et agit en père conscient de ses responsabilités. C’est à lui et lui seul que l’annonce de la naissance de l’enfant[14] est faite par l’ange du Seigneur, autrement dit par Dieu lui-même.[15] Celui-ci lui apparaît d’ailleurs trois fois[16] en songe[17] à l’occasion des événements marquants de l’enfance de Jésus.
De Joseph, il est dit qu’il est un homme juste. Il fait partie ainsi des rares personnages des Ecritures[18] à être déclarés justes. La justice de Dieu n’est pas rétributive, mais consiste en accueillir chacun tel qu’il est et l’intégrer dans le projet de Dieu. Elle est projet d’humanisation et tout le contraire de l’exclusion. Elle consiste à accorder la juste place. Joseph est donc ajusté à Dieu, il a trouvé sa juste place avec lui. Il entre avec Dieu dans une relation de respect et de confiance mutuels.
La vraie justice dépasse les préceptes, elle ajuste les circonstances de la vie. Ainsi Joseph apparaît-il juste en prenant la résolution de répudier Marie, qui lui est promise, en secret pour ne pas la diffamer. La Loi de Moïse permet la répudiation de la femme sous certaines conditions, avec obligation d’établir une attestation écrite.[19] Mais en aucun cas, il ne peut s’agir d’une procédure secrète,[20] toute l’action doit rester publique. Joseph s’apprête donc à transgresser en conscience la Loi. Peut-être est-il juste précisément pour cette raison parce que sa transgression répare une injustice envers une innocente. Et il prend sa femme avec lui dans sa maison.[21]
L’Ange du Seigneur donne mission à Joseph de donner son nom à l’enfant qui va naître. Celui qui donne le nom à l’enfant en est le père, car il lui donne l’existence, la personnalité. Joseph est ainsi le père de l’enfant. Il assume pleinement sa paternité en lui procurant protection. Ce qui apparaît quand il s’enfuit avec sa famille en Egypte[22] pour protéger l’enfant d’Hérode et lorsqu’il s’installe, au retour d’Egypte, à Nazareth en Galilée.[23] Pour son fils, il accepte ainsi un double exil, extérieur et intérieur.
La figure de Joseph, par son courage et ses sacrifices, s’impose comme celle d’un père dans toute la force et la beauté du terme. La paternité véritable n’est pas biologique, mais relève de l’acceptation entière de l’enfant, dans tout ce que cela représente de don de soi : protection, éducation, amour.
Joseph est l’archétype de cette paternité. Il se tait, mais c’est pour écouter. Il s’efface, mais c’est pour faire grandir. Le véritable père est là quand il le faut, pour donner des balises à l’enfant, mais lui ouvrir ses propres champs de liberté. Joseph nous montre le chemin de cette paternité.
[1] Mt 13,53-58 et Lc 4,16-30. Dans l’épisode parallèle de Marc (6,1-6), Jésus est présenté comme le charpentier, le fils de Marie, et Joseph n’est pas nommé.
[2] Jn 1,43-46 : Les premiers disciples.
[3] Chez Matthieu : Joseph, fils de David (Mt1, 20) et Luc : Un homme nommé Joseph de la famille de David (Lc 1,27).
[4] Chez Matthieu (1,1-17)- et Luc (3,23-38). Les deux évangélistes ne s’accordent pas sur le nom du père de Joseph.
[5] Chez Matthieu (chapitres 1 et 2) et Luc (chapitres 1 et 2).
[6] Lc 1,27 : Annonce de la naissance de Jésus.
[7] Lc 2,4-5 : Recensement de César-Auguste.
[8] Lc 1,16 : Visite des bergers.
[9] Lc 1,21 : Circoncision de Jésus.
[10] Lc 2,22-39 : Présentation de Jésus au Temple. Prophéties de Syméon et Anne.
[11] Peut-être parce qu’il ne vivra pas les événements.
[12] Lc 2,41-52 : Premières paroles de Jésus au Temple.
[13] Les lecteurs de Matthieu, des juifs convertis, ne comprendraient probablement pas l’effacement de Joseph, la mentalité sémite mettant en exergue le rôle du père.
[14] Mt 1,18-25 : Annonce à Joseph.
[15] Contrairement à l’annonce faite à Marie, chez Luc, où c’est l’ange Gabriel qui intervient.
[16] A l’annonce de la naissance, à la fuite en Egypte et au retour d’Egypte.
[17] La réalité des événements n’est en rien altérée par le fait qu’ils soient annoncés en songe. Dieu n’apparaît qu’en rêve parce qu’on ne peut le voir sans mourir.
[18] Avec Noé, Job, ou encore Zacharie et sa femme Elizabeth.
[19] Di 24,1 : Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse, puis trouvant en elle quelque chose qui lui fait honte, cesse de la regarder avec faveur, rédige pour elle un acte de répudiation et le lui remet en le renvoyant de chez lui.
[20] Une répudiation secrète transgresse la Loi, car elle élude la juste peine des coupables d’adultère et couvre une abomination.
[21] Chez Matthieu, Joseph habite à Bethléem et c’est dans la maison familiale, et non pas dans une mangeoire, que Marie accouchera de son fils premier-né.
[22] Mt 2,13-15 : La fuite en Egypte.
[23] Mt 2,19-23 : Le retour d’Egypte.