
Les Actes des Apôtres rappellent aujourd’hui les aspirations de vie évangélique dans la communion et l’unité des croyants. Un idéal de communauté à la fois spirituelle et matérielle qui veut témoigner d’une existence renouvelée dans la Résurrection. Une émergence du Royaume de Dieu qui met en perspective l’éradication de la pauvreté dans la dignité, le respect, le partage des biens et la solidarité mutuelle.
Le récit est le deuxième des trois sommaires[1] qui émaillent le livre des Actes des Apôtres. Ces sommaires décrivent de manière souvent convenue et idyllique la vie de la première communauté de Jérusalem. Ils soulignent son accroissement continu et son existence harmonieuse. Ils présentent des éléments communs et des affinités de structure qui invitent à les considérer ensemble. Chacun d’entre eux met l’accent sur un thème en lien avec le contexte. Ils traitent ainsi successivement du rayonnement et de l’unité de la communauté, de la mise en commun des biens et de l’activité miraculeuse des apôtres.
La mise en commun des biens met en perspective pratique l’enseignement du Christ sur le renoncement aux richesses pour entrer dans le Royaume. Le thème est très présent chez Luc[2], ainsi, Jésus insiste-t-il à plusieurs occasions, tant auprès de ses disciples[3] qu’à ceux qui l’abordent[4] sur l’obstacle que présente la possession de biens et sur la nécessité de se constituer un trésor inaltérable dans les Cieux. Aussi les membres de la communauté renoncent-ils à avoir des biens propres.[5] La mise en commun des biens était un geste libre[6] et volontaire, mais n’était sans doute pas aussi généreuse que l’entend le texte.[7]
Au-delà de la communauté de biens, s’inaugure entre les croyants une communion de cœur et d’âme. Toutes les volontés, tous les esprits s’orientent vers une unité de foi et de vie. La renonciation aux biens propres est avant tout l’expression d’une communion spirituelle. Les croyants répondent donc à l’appel du Christ de former un seul corps. Faire corps a ainsi à la fois une signification matérielle et spirituelle.
Dans ce contexte, les Apôtres rendent témoignage de la Résurrection du Christ. La grande puissance qu’ils manifestent n’émane sans doute pas d’eux, mais plus sûrement de la puissance de Dieu qui opère signes et prodiges. De même, la grande grâce n’est pas humaine, mais la grâce de Dieu qui appuie la prédication apostolique. Mais elle n’est pas sans rapport avec leur communion de foi et de biens.
La communion spirituelle se concrétise lorsque les propriétaires réalisent leurs biens pour en partager les revenus. Les apôtres les répartissent à chacun selon ces besoins. L’indigence disparaît alors au sein de la communauté des croyants. La disparition de la pauvreté[8] est emblématique de la réalisation du Royaume. Le mode de vie des communautés inaugure une ère nouvelle de justice et de solidarité. Bien plus, il met en pratique l’enseignement qu’a prodigué Jésus en multipliant les pains : Donnez-leur vous-mêmes à manger.[9] C’est en partageant les pauvretés qu’on éloigne la misère.
L’exemple concret donné par le comportement de Barnabé[10] illustre encore d’avantage la situation. Le sens de son surnom, l’homme du réconfort, donne une dimension supplémentaire de dignité rendue aux humbles et aux faibles de la communauté.
Une organisation de vie communautaire axée sur la mise en commun des biens paraît un idéal utopique et même dangereux sous bien des égards[11] à la plupart de nos contemporains. Et les premières communautés chrétiennes dont parle le livre des Actes des Apôtres étaient limitées, rencontraient des difficultés dans leurs pratiques[12] et n’ont pas perduré quand le christianisme s’est imposé dans toutes les classes sociales. La pertinence du partage des richesses est cependant d’une actualité brûlante dans notre société qui accumule les fractures sociales sans apporter de solution satisfaisante aux problèmes qui la traversent.[13]Seule une répartition des ressources[14] pourrait rétablir plus de justice entre les nantis et les pauvres.
Les disparités criantes que nous rencontrons sont peut-être pour nous chrétiens l’occasion de marquer notre différence en travaillant très concrètement, dans les milieux où nous sommes insérés, pour un rééquilibrage des richesses. Le devoir de tout croyant n’est-il pas de rendre sa dignité à l’indigent en le rendant acteur de sa propre existence ? Alors pourra advenir le Royaume initié par Jésus, où règneront la justice, la solidarité et la paix.
[1] Le premier sommaire est en Ac 2,42-47 et le troisième en Ac 5,12-16.
[2] Luc est l’auteur à la fois de l’évangile éponyme et du livre des Actes des Apôtres.
[3] Vendez tout ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses inusables, un trésor inaltérable dans les cieux ; là ni voleur n’approche, ni mite ne détruit (Lc 12,33).
[4] A un notable qui l’interroge sur la vie éternelle, Jésus répond : Tout ce que tu as, vends-le, distribue-le aux pauvres et tu auras un trésor inaltérable dans les cieux (Lc 18, 22).
[5] A l’instar de Pierre qui proclame : Pour nous, laissant nos propres biens, nous t’avons suivi (Lc 18,28).
[6] A l’inverse de la communauté de Qumram, où il était imposé.
[7] L’épisode d’Anania et de sa femme Saphira qui mentent sur la valeur de la propriété vendue (Ac 5,1-11) indique bien la difficulté et les résistances que présentent pareilles dispositions.
[8] La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres, dit Jésus dans la synagogue de Nazareth (Lc 4,18).
[9] Lc 9,13 : Jésus rassasie une foule.
[10] C’est la première mention de l’apôtre Barnabé dans le livre des Actes. Il deviendra le compagnon de Paul dont il partagera les vues missionnaires.
[11] Le spectre de l’anarchie est souvent agité. Des expériences de vie communautaire ont existé au cours des XIX et XX° siècles, souvent sous l’influence du socialisme utopique de Charles Fourier. On peut citer les phalanstères, les communautés intentionnelles, les communautés anarchistes, les kibboutzim, mais encore plus récemment les habitats participatifs ou groupés, la colocation, etc.
[12] En particulier, le statut des esclaves n’y était pas réglé. En tous cas, le système de l’esclavage a perduré et son abolition n’a pas été envisagée (voir la lettre de Paul à Philémon).
[13] En se révélant impuissante devant, entre autres, la crise sanitaire actuelle et les enjeux écologiques planétaires.
[14] Tant entre nations riches et pays en développement (avec la question de l’annulation de la dette) qu’au sein même des populations des pays riches.