
Le Christ révèle à l’humanité le vrai visage de Dieu, le visage de l’Amour. Il lui montre l’image d’un Dieu qui aime, qui respecte et qui fait confiance. La grande nouveauté du christianisme est en effet d’affirmer que l’Amour conduit le monde, que Dieu est Amour et que son unique commandement est d’aimer.
L’évangile de Marc se fait l’écho de toutes les difficultés, des polémiques, des divisions traversées par les communautés pagano-chrétiennes qui l’a vu naître. L’évangéliste rapporte ainsi les questions et les objections soulevées par la découverte progressive de l’identité de Jésus et la révélation de sa filiation divine, de même que la compréhension de son enseignement.
Après avoir présenté la personnalité messianique de Jésus, Marc aborde, dans une nouvelle étape, son affrontement aux autorités religieuses juives. La confrontation est décisive. Jésus entre à Jérusalem et y prend position par rapport à la plus grande institution, le Temple. Il enseigne souverainement dans ce lieu, en annonçant la ruine.[1] S’en suit une longue série de controverses avec le judaïsme officiel.[2]
L’épisode de ce jour tranche avec les échanges habituels, apportant une trêve dans les polémiques. Un scribe aborde Jésus avec un à-priori favorable. La question qu’il pose à celui qu’il considère comme son égal[3] sur le plus grand commandement est celle d’un professionnel, fin connaisseur des Ecritures et accoutumé aux débats, parfois passionnés, qu’entretiennent les rabbins sur la hiérarchisation ou la mise en ordre des nombreux préceptes – en hébreu mitzvot – de la Loi.[4]
La réponse de Jésus est, de prime abord, très classique. Il évoque en premier lieu l’amour de Dieu et la profession de foi fondamentale du peuple juif.[5] Pour citer en second lieu l’amour du prochain qui occupe une place centrale au cœur de la Torah.[6] Mais, à y regarder plus près, Jésus fait œuvre originale en rapportant ensemble les deux commandements pour les lier en un seul. Sa réponse provoque l’entière satisfaction de son interlocuteur, ce qui lui vaut un rare compliment. Marc souligne un dialogue profond entre Jésus et un scribe particulièrement ouvert, sans arrière-pensée.
Ecoute Israël. Ecoute, Dieu parle aux hommes. Notre Dieu est un Dieu de liberté qui prend l’initiative d’entrer en relation avec l’humanité. Ecoutons ce qu’il dit, ses mots révèlent la source d’où jaillit le vrai bonheur. Et cette source est son amour. C’est un Dieu qui n’enferme pas l’être humain dans un carcan normatif de contraintes et d’interdits, mais veut le faire accéder à sa pleine humanité. Sous l’unique commandement de l’amour de Dieu et du prochain.
Jésus associe de manière inédite et péremptoire amour de Dieu et amour du prochain. Parce que l’amour du prochain s’enracine dans l’amour de Dieu et qu’il est impossible d’aimer Dieu, que l’on ne voit pas, sans aimer son frère, que l’on voit.[7] C’est dans les yeux de l’autre, et singulièrement du plus humble, de l’exclu, du méprisé, du malade, du souffrant, que se reflète le visage du Dieu d’amour.
Aimer son prochain de l’amour originel, que Dieu lui-même crée, qui fait la vie dans son jaillissement fondateur. Un amour qui engendre le respect de l’autre comme un don de l’Esprit. Révérer l’autre dans ce qu’il est, dans ce qu’il a de particulier, de différent, d’unique, et qui lui donne du prix aux yeux de Dieu. Mettre cet amour en pratique. Qui fait cela n’est pas loin du Royaume de Dieu.
[1] Les vendeurs chassés du Temple (Mc 11,15-19).
[2] La parabole des vignerons homicides (Mc 12,1-13), L’impôt dû à César (Mc 12, 14-17), la résurrection des morts (Mc 12,18-27).
[3] Il appelle Jésus « Maître », le titre donné aux rabbins, avec beaucoup d’égards.
[4] Les mitzvot ne sont pas à proprement parler des commandements, mais plutôt la mise en mouvement d’un ordre (au sens de « mettre en ordre »). Ils sont au nombre de 613, dont 365 (le nombre de jours de l’année) ont une forme affirmative et 248 (le nombre présumé des os et organes du corps humain) une forme négative. Ils ordonnent le temps pour permettre à l’être humain d’accéder, en toute liberté, à sa pleine humanité.
[5] Le fameux Schéma Israël que prie le juif pieux chaque jour : Ecoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force (Dt 6,4-5).
[6] N’aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n’hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d’un péché à son égard. Ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l’égard des fils de ton peuple : c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est moi le Seigneur (Lv 19,17-18).
[7] Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère (1 Jn 4,20-21).