
Comme tous les mardis et les dimanches, Alexis nous partage sa méditation sur la parole du jour.
Le livre de Daniel se présente au lecteur comme l’œuvre d’un prophète contemporain de la captivité à Babylone. En fait, sa composition est complexe[1] et son auteur anonyme est probablement issu des mouvements juifs qui se sont retirés au désert pour lutter contre les occupants à l’époque hellénistique.[2] Il présente une combinaison originale de deux genres littéraires utilisés à l’époque, le récit didactique[3] et l’apocalypse,[4] tous deux mis au service d’un message d’espérance dans le triomphe de la puissance de Dieu sur les forces de mort. L’idée de la résurrection commence à prendre corps, ce qui en fait un trait d’union entre la théologie des prophètes et le message du Nouveau Testament.
Le cadre présumé du livre est ainsi la captivité à Babylone. Il met en scène Daniel et ses compagnons,[5] en qui il montre le type de juifs fidèles. Emmenés en exil et introduits à la cour du roi Nabuchodonosor, ceux-ci continuent de pratiquer la Loi sur des points que le paganisme critiquait fortement à l’époque de la persécution grecque, notamment en matière d’interdits alimentaires. Ils sont néanmoins reconnus par le roi pour leurs qualités de sagesse et de discernement.
Le songe de la statue[6] met en exergue la sagesse de Daniel, porte-parole du message prophétique du vrai Dieu. Dans l’Antiquité, les songes prémonitoires tenaient une grande place et leur interprétation consistait une part importante des techniques divinatoires. L’impuissance de la divination païenne est ici soulignée. Seul Dieu, maître du temps et de l’Histoire, connaît le secret de l’avenir et le révèle par l’intermédiaire de ses prophètes.
Nabuchodonosor est l’archétype du roi païen et Daniel lui dévoile le dessein de Dieu de consommation finale. L’histoire des empires païens est présentée comme une dégradation progressive des matériaux de la statue : l’or, suivi de l’argent, puis du bronze, puis du fer, pour en finir avec un mélange fragile de fer et de céramique. La statue à la tête d’or repose ainsi sur des pieds d’argile. Derrière l’allégorie, on reconnaît la succession des empires qui ont traditionnellement dominé l’Orient ancien, respectivement Babylone, la Médie, la Perse, l’empire d’Alexandre le Grand, divisé ensuite entre l’Egypte et la Syrie.[7] Tout cela débouche sur un jugement de Dieu[8] qui mettra fin à la puissance des empires humains et préludera l’installation de son règne qui subsistera à jamais.
Pour nous chrétiens, ce dévoilement progressif de l’histoire de l’humanité aboutit au Christ et au règne qu’il vient inaugurer. Le dessein de Dieu est bien ce royaume de paix et de justice qui supplante une succession de dominations où la force le dispute à la division. Au-delà de la vision apocalyptique, c’est bien la fragilité de nos sociétés qui est mise en évidence. Notre monde est un colosse aux pieds d’argile, les actualités dramatiques[9] que nous vivons le montrent à profusion. Notre mode d’existence, s’il nous procure un certain niveau de confort,[10] a cependant un prix, dont la facture nous sera un jour présentée. Notre économie mondialisée nous rend de plus en plus dépendants des matières premières que nous ne produisons pas ou plus,[11] de produits manufacturés en provenance de contrées lointaines[12] et des ressources énergétiques dont nous n’avons pas la maîtrise.[13] Nous vivons au-dessus de nos moyens, et ce que nous pensons être notre force accentue notre faiblesse. Nos comportements consuméristes et individualistes accentuent les inégalités et les injustices.
Mais au-delà de ces constats alarmants vient poindre une espérance. Elle est symbolisée par cette pierre qui se détache de la montagne, vient briser la statue et prend toute la place. Le Royaume de Dieu est là tout proche, le Christ l’a inauguré par sa mort et sa résurrection. Il nous engage à le faire croître dans notre monde. Travaillons-y, là où nous sommes, dans le concret de nos existences, par des actions de justice et de solidarité, par des comportements adaptés à notre environnement et à nos moyens. Faisons de notre faiblesse notre force.
[1] Il comporte une version hébraïque comportant des textes rédigés en hébreu et en araméen, et une version grecque (Bible des Septante) qui diffère parfois considérablement par des ajouts en grec.
[2] Sans doute l’auteur faisait-il partie des Assidéens qui avaient rejoints les partisans de Judas Maccabée lors de la révolte contre le roi séleucide Antiochus IV Epiphane (164).
[3] Un procédé pédagogique mis au service d’une leçon morale ou de sagesse. Le héros du récit, ses comportements et les évènements sont présentés de sorte que le lecteur puisse en tirer un message d’édification ou de réconfort.
[4] Une littérature de révélation (c’est le sens du mot apocalypse) mettant en scénario la crise finale de l’Histoire, où la divination et la révélation de choses cachées occupent une place importante.
[5] Les quatre héros sont Daniel, Hananya, Mishaël et Azarya. Ils recevront à Babylone d’autres noms, respectivement Beltshassar (qui signifie en chaldéen «Protège la vie du roi !»), Shadrak, Méshak et Abed-Nego.
[6] La statue est un colosse composite faite de matériaux divers. Son aspect terrifiant convient à une vision surnaturelle qui annoncera le jugement de Dieu.
[7] Les généraux d’Alexandre le Grand, à sa mort, se partageront son empire. L’Egypte échoira aux Lagides et la Syrie aux Séleucides. Une tentative de rapprochement entre les deux – par une politique de mariage dont la fragilité est ici symbolisée par le mélange de fer et de céramique – se déroulera en 194 devant le péril romain.
[8] La pierre se détachant de la montagne qui anéantit la statue.
[9] On pense particulièrement à la crise sanitaire et aux inondations dans nos régions, mais aussi à la crise des réfugiés économiques et climatiques des pays du Sud.
[10] Du moins dans nos pays «développés», mais au prix d’une accentuation des inégalités Nord-Sud et entre riches et pauvres.
[11] Particulièrement en agriculture, où nous ne produisons plus ce que nous consommons.
[12] Ainsi la Chine, qui fournit, par exemple, toute une série de composants électroniques, avec tous les coûts énergétiques de transport que cela représente.
[13] Particulièrement des énergies fossiles, dont le pétrole, qui finiront par se tarir. Nous sommes complètement dépendants de la production d’électricité.