
Après sa méditation de Noël, Alexis nous partage celle de la sainte famille. Merci à lui de nous nourrir de ses belles méditations.
Fêter les familles signifie d’abord reconnaître la diversité et la complexité des structures familiales. De nombreuses figures coexistent dans la société : familles patriarcales ou matriarcales, familles nucléaires ou éclatées, familles recomposées, monoparentales, homoparentales. Elles présentent un dénominateur commun, la volonté d’une éducation des enfants. Eduquer[1] signifie le désir de rechercher l’autonomie et l’épanouissement des jeunes générations qui leur sont confiées, en les initiant aux valeurs et aux attitudes qui rendent possible une vie en société.
Une ambition que partage l’Eglise en proposant la Sainte Famille de Joseph, Marie et Jésus en modèle de la grâce de pratiquer les vertus familiales.[2] Un modèle n’est opérant que s’il rencontre deux besoins. D’abord être suffisamment proche de ce qu’il veut représenter pour qu’on puisse s’y identifier. Ensuite en être raisonnablement éloigné pour qu’on sache l’idéaliser. Sa crédulité résulte ainsi de la résolution de la tension entre identification et idéalisation. Ce qui est aussi vrai pour l’image de la Sainte Famille, telle qu’elle est décrite aujourd’hui dans l’évangile des premières paroles de Jésus au Temple.[3]
De premier abord, la famille de Jésus est une famille ordinaire que rien ne semble distinguer des familles juives de son temps. Marquée par sa culture, ses coutumes et ses rites, elle est rythmée par l’alternance du travail et des célébrations.[4] En cela, elle rassure et la plupart des familles peuvent s’y identifier.
Mais pour le croyant, cette famille est singulière, puisque Jésus est le Fils unique de Dieu enfanté par la vierge Marie et que Joseph est son père adoptif. Difficile dès lors de s’assimiler à elle, la distance est trop grande. Sauf si l’on se reconnaît en enfants d’un même Père. Par le baptême, nous composons la sainte famille de Dieu.
L’évangile d’aujourd’hui décrit une crise familiale, le récit d’une fugue. Un adolescent fugueur, un jeune en quête d’identité, à la recherche de son père. Voilà qui rejoint le quotidien de nos jeunes en recherche d’eux-mêmes. Aucun enfant adopté ne fait l’impasse de la découverte de ses racines. Crise comme le vivent toutes les familles, avec ses remises en question, ses discernements. Avec tous les ingrédients d’une crise, l’incompréhension des générations, l’angoisse des parents, leur impuissance à contrôler la situation, leur stupéfaction et peut-être leur secrète admiration devant le fils maître de l’événement. Et enfin le dépassement de l’incident dans un équilibre renouvelé.
L’aventure renseigne cependant d’avantage sur la nature des relations familiales en précisant de Jésus qu’il leur était soumis. Pour nous, la soumission est considérée comme une attitude de résignation, de subordination, d’allégeance à quelqu’un dont on dépend arbitrairement. Une relation discrétionnaire qui n’a rien d’équitable. Rien de tel dans la Bible, où la soumission est comprise comme le chemin de la sagesse des humbles qui mène à la vie, un itinéraire qui conduit vers le salut de Dieu. La soumission est la sagesse de l’homme devant la justice de Dieu. Dieu est juste dans sa façon d’ajuster sa relation à l’humanité. Sa justice vise d’établir des rapports harmonieux et équilibrés.[5] La soumission est ainsi la réponse de l’homme à ce Dieu qui veut s’ajuster à lui.[6] Elle suppose à la fois une aptitude de l’esprit qui oriente raison et foi à la contemplation, et une disposition de l’âme à s’abandonner à l’amour de Dieu.
Le récit évangélique révèle la consistance d’une famille. Il esquisse Joseph en père adoptif attentif. Présent et discret, protecteur mais silencieux. Une véritable paternité se préoccupe de l’éducation de l’enfant, sans panache ni esclandre, c’est la paternité du cœur. Marie se pose en mère soucieuse qui conserve en elle les traces des évènements. Parce que la mémoire forge l’identité, elle inscrit dans une lignée, dans l’avenir de tous les possibles, relie l’enfant à ses racines. Image réaliste et non idyllique d’une famille en prise avec la vie et sa complexité. Une famille singulière certes. Surtout une famille qui reflète tous les espoirs, les problèmes et les inquiétudes de toutes les familles de la terre.
[1] Du latin ex ducere, conduire dehors.
[2] La dévotion à la Sainte Famille est récente et s’est étendue au XIX° siècle sous l’impulsion de Léon XIII pour proposer aux familles un chemin de sainteté. Le pape Pie XI l’a érigée en 1921 en fête obligatoire.
[3] Les évangiles sont très discrets sur la famille de Jésus. Chez Matthieu : annonce à Joseph (1,18-19), fuite en Egypte (2,13-15), établissement à Nazareth (2,22-23), vraie famille de Jésus (12,46-50). Chez Marc : vraie parenté de Jésus (3,20-21.31-35), Jésus à Nazareth (6,1-6). Chez Luc : annonce à Marie (1,26-38), naissance et circoncision de Jésus (2,1-21), présentation de Jésus au Temple (2, 22-40), premières paroles de Jésus au Temple (2, 41-52), vraie famille de Jésus (8,19-21). Chez Jean : premier signe (2,1-12).
[4] Shabbat, fêtes, pèlerinages au Temple. L’entretien de Jésus avec les maîtres au Temple peut correspondre à une bar mitswah, rite de passage où le jeune (vers 12 ans) est invité à lire un extrait de la Torah.
[5] C’est ainsi qu’on peut comprendre l’exhortation de l’apôtre Paul aux Ephésiens : Vous qui craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres (Ep 5,21).
[6] Ce qui n’exclut pas la négociation avec Dieu, comme le fait par exemple Abraham lorsqu’il intercède pour les justes lors de la destruction de Sodome et Gomorrhe (Gn 18,16-33).