
La naissance du prophète Samuel relève des relations de naissances extraordinaires,[1] puisque sa mère était stérile. Ce qui, dans la Bible, est l’indice d’une destinée exceptionnelle. Son rôle sera en effet déterminant dans l’histoire du peuple hébreu. L’action qu’il exercera se rapproche plus de celle d’un Juge – chef guerrier et religieux – que d’un prophète. Malgré ses réticences devant l’institution royale,[2] il consacrera par l’onction successivement les deux premiers rois, Saül puis David. Son influence a ainsi été décisive pendant une période de crise et de transition, notamment dans la lutte contre les Philistins.
La famille de Samuel est originaire de Rama,[3] dans le territoire de la tribu de Benjamin. Le père Elqana est un Ephraïmite[4] qui a pour coutume de se rendre tous les ans au sanctuaire de Silo.[5] Il a deux épouses, Pennina, qui a des enfants, et Anne, qui n’en n’a pas. L’animosité règne entre les deux femmes, et la première ne manque jamais d’humilier la seconde en lui rappelant sa stérilité chaque fois qu’elle montait à la Maison du Seigneur.[6]
Anne se trouve ainsi en pleurs et pleine d’amertume dans le temple et adresse une prière au Seigneur de lui donner une descendance d’hommes. Elle lui promet de lui consacrer l’enfant qui deviendra nazir.[7] Sa démarche est d’abord mal comprise par le desservant, le prêtre Eli, qui la prend pour une femme ivre et veut la chasser comme une vaurienne,[8] donc une ennemie du Seigneur, une femme enténébrée. La femme dissipe le malentendu et le prêtre l’envoie dans la paix et la bénédiction. Ayant trouvé grâce, Anne part rassurée.
Après le pèlerinage, la famille rentre à Rama où le Seigneur se souvint d’elle. La stérilité d’Anne est ainsi levée et elle peut concevoir et enfanter un fils. Elle lui donne le nom de Samuel, car, dit-elle, elle l’avait demandé au Seigneur.[9] L’enfant qui a été demandé par Anne lui est concédé et il sera ensuite cédé à Dieu,[10] toute son existence lui sera consacrée.
La naissance et le destin de Samuel ne sont pas sans rappeler ceux de Jésus. Deux existences d’exception, signalées par des naissances extraordinaires : Anne est stérile, Marie est vierge. Les deux mères se définissent servantes[11] et sont l’objet de grâce.[12] Toutes deux prient le Seigneur et verront leur cœur exulter à cause de lui dans des cantiques [13]de louange proclamant le salut apporté aux petits. Le fils d’Anne oindra le roi David, le fils de Marie sera fils de David. Anne, dans son humilité et dans ce qu’elle a vécu,[14] annonce Marie.
Anne la stérile enfante dans une des époques les plus troublées d’Israël. Les institutions des Juges montrent leurs limites devant les ennemis qui menacent le peuple élu. Une période où tout semble bloqué. Son fils sera celui par qui tout reviendra possible. Anne est là pour nous rappeler que, dans l’histoire du salut de l’humanité, c’est toujours par l’entremise de femmes que des solutions se dégagent et que la vie peut renaître.[15] L’espérance tient plus de la ténacité et du courage des femmes que des manigances des hommes. Une leçon d’humilité.
[1] Comme par exemple les naissances de Samson ou de Jean-Baptiste.
[2] Il estime en effet à juste titre que les rois ponctionneront et opprimeront le peuple (1 S 8,11-18). Pour lui, seul Dieu est Roi en Israël.
[3] La ville est située à 8 km au nord de Jérusalem, dans les monts de Judée. Rama est aussi la patrie de la prophétesse Déborah (Jg 4,5).
[4] Selon certains un membre du clan judéen d’Ephrata.
[5] Le sanctuaire de Silo semble avoir eu une grande influence à l’époque des Juges, du moins pour les tribus de la Palestine centrale.
[6][6] L’affrontement se déroule au temple de Silo (1 S 1,7).
[7] Les nazirs étaient consacrés à Dieu. Ils ne devaient ni boire de vin ni se raser la tête. La référence au juge Samson (Jg 13,5 ; 16,17) est évidente. Samuel sera un autre Samson.
[8] Littéralement une fille de Bélial, expression fréquente pour désigner quelqu’un qui ignore le Seigneur. Bélial est devenu le nom propre de l’esprit des ténèbres.
[9] L’explication du nom donné par la mère pose problème puisque Samuel signifie Nom (sem) d’El (le Dieu des sémites). Demander (en hébreu sa’al) s’appliquerait plutôt à Saül. Certains pensent ainsi que le récit de la naissance avait d’abord fait partie de la légende de Saül.
[10] Comme la mère le dit elle-même en apportant l’enfant au temple de Silo après qu’il soit sevré (1 S 1,28).
[11] Anne se déclare servante pas moins de trois fois dans l’épisode. Marie se dit la servante du Seigneur devant l’ange Gabriel (Lc 1,38).
[12] Anne demande la grâce du prêtre Eli, Marie a trouvé grâce auprès de Dieu (Lc 1,30).
[13] Le Magnificat, cantique de Marie (Lc 1,46-55) s’inspire du cantique d’Anne (1 S 2,1-10).
[14] On peut imaginer la souffrance de la séparation lorsqu’elle confie son fils au temple de Silo.
[15] On peut penser aux femmes de la Bible : Rahab, Ruth, Bethsabée, et bien sûr Marie.