
Malgré les apparences, les trois épîtres johanniques sont des récits polémiques. Le ton qu’elles adoptent parfois indique que les communautés auxquelles elles sont adressées traversent une crise grave. La diffusion d’enseignements incompatibles avec la doctrine chrétienne menace alors d’y compromettre la pureté de la foi. L’auteur[1] pourfend ceux qu’il appelle antichrists, prophètes de mensonge ou menteurs. Trompés par une mystique de type gnostique[2], ils distillent une théologie en contradiction flagrante avec la révélation chrétienne. Ainsi, ils refusent de voir en Jésus le Messie ou le Fils de Dieu et rejettent l’incarnation. De plus, ils prétendent être sans péché et ne se soucient pas des commandements, en particulier celui de l’amour fraternel.
L’objectif des lettres de Jean n’est cependant pas de combattre directement ces courants gnostiques, mais plutôt de mettre en garde les communautés elles-mêmes contre leurs prétentions et de montrer que ce sont les chrétiens qui sont en communion dans la foi avec Dieu.[3] Les croyants doivent développer et affermir en eux cette véritable connaissance qu’est la certitude de foi.
La première lettre de Jean développe le thème de la communion des croyants avec Dieu, mais qui se manifeste comme une communion entre frères. Cette communion divine ne s’atteint que par et dans la méditation de Jésus Christ, Fils de Dieu. Les chrétiens peuvent ainsi pénétrer le mystère de Dieu en approfondissant trois aspects : Dieu est lumière, Dieu est juste, et surtout Dieu est amour.
L’amour vient de Dieu et s’enracine dans la foi, tel est le cœur de la révélation. L’amour est à la fois don de soi, gratuité et communion. En Dieu, l’amour unit le Père et le Fils. Mais cet amour divin se révèle et se communique. Nous tous, croyants, sommes appelés à participer à cet amour du Père et du Fils et à le propager. Cette vie de foi et d’amour est la condition directe de la connaissance de Dieu, sans elle, il est impossible d’y parvenir. Une connaissance progressive, puisque le croyant, s’il est vraiment né de Dieu[4] et pratique l’amour fraternel, découvre qui est Dieu et fait l’expérience de son amour.
En proclamant que Dieu est amour, Jean n’entend pas donner une définition abstraite de l’être divin, mais rappeler que Dieu s’est révélé dans son Fils comme un Dieu qui aime. Ce qui relève du domaine de l’expérimentation. Cet amour, qui s’est manifesté dans l’histoire par l’envoi du Fils, révèle en même temps l’amour du Père pour son Fils. La source de tout amour est en Dieu et reflète parmi les croyants la vie même de Dieu, communication d’amour dans les personnes de la Trinité.
C’est Dieu lui-même qui nous a aimés, sans aucun mérite de notre part. Il n’a pas hésité, pour le salut de l’humanité, à faire don de son Fils jusqu’au sacrifice de la Croix. C’est désormais en victime d’expiation que le Fils intercède pour nous devant son Père.[5]
En ce temps d’Epiphanie, où nous célébrons la venue de l’enfant-roi, lumière des hommes, Jean vient nous rappeler que le Christ nous révèle l’amour de son Père et que nous sommes invités à entrer avec lui et avec nos frères dans cette communion d’amour. Sans elle, nous ne pouvons accéder à la vérité de la connaissance de Dieu.
[1] Identifié traditionnellement à l’apôtre Jean, le disciple du Seigneur, l’auteur des trois épîtres n’indique nulle part son nom. Il s’identifie à l’Ancien, titre en usage dans les Eglises d’Asie. Il s’agit d’un homme qui jouissait d’une autorité considérable, en tant que témoin oculaire de la vie de Jésus.
[2] Le mot gnose signifie connaissance. Sans qu’on puisse identifier avec précision le courant gnostique, il s’agissait probablement des mêmes mouvements judaïsants pré-gnostiques contre lesquels Paul réagissait déjà dans ses épîtres, et qui déboucheront plus tard sur les systèmes gnostiques du deuxième siècle.
[3] Je vous ai écrit tout cela pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui avez la foi au nom du Fils de Dieu (1 Jn 5,13).
[4] Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu ; et quiconque aime Dieu qui l’engendre, aime aussi celui qui est né de Dieu (1 Jn 5,1).
[5] Tu as été immolé et tu as racheté pour Dieu, par ton sang, des hommes de toute tribu, langue, peuple et nation (Ap 5,9).