
Les événements récents qu’affronte l’humanité[1] font émerger les angoisses les plus fondamentales : la peur de la mort, pour nous-mêmes, pour ceux que nous aimons, le sentiment de notre incapacité à agir seuls, de notre finitude. Elle met aussi en évidence la fragilité de notre modèle de consommation, le grippage des mécanismes économiques, sociaux, les limites de nos institutions d’accueil ou de santé publique. Nous sommes mis à nu et nous pressentons que seule une solidarité dépassant les frontières des classes, des générations et des peuples permettra d’entrapercevoir une issue favorable. Pour nous chrétiens, l’espérance nous porte à voir émerger une humanité régénérée par la Pâque du Christ.
Jésus lui-même a vécu dans sa chair cette angoisse et cette tristesse dans la déréliction. Il a affronté la perspective de la mort, non pas comme un événement qui n’arrive qu’aux autres, mais dans l’anxiété d’une fin qu’il pressentait atroce. Mais aussi et d’abord, il a été confronté à la mort des autres, dans ses affections les plus chères. Lazare, Marthe et Marie étaient pour lui des amis. Il pouvait passer dans leur maison de Béthanie, toute proche de Jérusalem, quand il souhaitait prendre un moment de recul, une détente qui le reposait de la pression des foules ou des conflits avec ses détracteurs, un temps d’amitié pour goûter à un peu de chaleur humaine. Il leur était profondément attaché et a vécu la mort de Lazare comme un choc émotionnel personnel.
Il fait pourtant d’abord mine de se désintéresser, minimisant la maladie et la mort de son ami. Elle est pour la gloire de Dieu, dit-il. Ou encore je me réjouis de ne pas avoir été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Ainsi tire-t-il la leçon d’évènements dramatiques en les transcendant et en les associant étroitement à sa mission. Jésus porte en lui le secret d’une vie qui ne passe pas et sur laquelle la mort n’a pas de prise. Lui-même est en marche vers Jérusalem où se profile la tragédie de sa Passion. Il pressent la mort de Lazare comme une occasion de faire progresser ceux qui l’entourent au cœur du mystère de la mort et de la vie.
La foi en la résurrection au dernier jour n’efface pas les craintes et les amertumes. À travers la douleur de Marthe, Jésus perçoit celle de toute l’humanité affrontée à la mort. L’homme repousse sa disparition physique. Le germe d’éternité qu’il porte en lui, irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort.[2] Ce n’est pas Lazare seulement qu’il faut faire revenir à la vie, c’est l’humanité toute entière qui doit être délivrée. Une réanimation passagère ne suffit pas, l’homme tout entier doit émerger à une vie nouvelle.
Marthe exprime sa foi en une résurrection au futur, à la fin des temps. Jésus lui répond pour le temps présent. Moi Je suis, la résurrection et la vie. C’est aujourd’hui, dans l’histoire du monde que Dieu est à l’action. Jésus vient nous relever maintenant de ce qui nous bouleverse, de nos pesanteurs et de nos peurs. C’est dans le quotidien de nos existences qu’il nous apporte la vie. Crois-tu cela, demande-t-il.
Le retour à la vie de Lazare, aussi exceptionnel qu’il soit, n’est que le signe avant-coureur de cette vie et de la résurrection du Christ au matin de Pâques. Ce que Jésus inaugure n’est pas un retour à une vie biologique terrestre, mais l’émergence d’un mode d’être nouveau, sur qui la mort n’a plus d’emprise. Une puissance de vie nouvelle, que communique l’Esprit, et qui est plus forte que la mort corporelle. Car l’Esprit qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à nos corps mortels. Le Christ nous convie aujourd’hui à cette irruption de la résurrection en nous.
[1] Crise sanitaire avec la pandémie, crise climatique avec des inondations dramatiques, des incendies et des périodes de sécheresse prolongée, catastrophes naturelles avec des séismes dévastateurs, sans parler de la guerre à notre porte, de l’afflux continu de réfugiés dans les pays occidentaux.
[2] Vatican II, Gaudium et Spes, chapitre 18.