
La présentation de Jésus au Temple intervient dans l’évangile de l’enfance de Luc après la naissance à Bethléem, la visite des bergers et la circoncision de l’enfant. Pareille présentation n’est nullement requise par la Loi. Ce qui est par contre prescrit est la purification de la mère[1] et le rachat du premier-né[2]. Ce qui explique le sacrifice offert par les parents de Jésus[3]. Ce respect scrupuleux qu’ils mettent à accomplir tous les rites de la Loi témoigne du zèle qu’ils apportent à remplir la mission qui leur est confiée par l’ange. Attitude d’autant plus remarquable qu’elle émane de celle qui a la faveur de Dieu [4]et de celui qui était un homme juste.[5]
Les prophéties de Syméon sur Jésus correspondent à celle de Zacharie sur son fils[6]. Comme l’atteste la présence sur lui de l’Esprit-Saint,[7] le vieillard est prophète – l‘ultime de l’Ancienne Alliance – avec mission de saluer l’avènement du Sauveur – le Christ du Seigneur – et de dévoiler à ses parents quelques traits de sa mission. Dans la bénédiction[8] qu’il prononce, il constate que la promesse de Dieu s’est accomplie, accueille la mort avec apaisement et annonce que le salut apporté par le Christ concerne aussi les peuples païens[9]. L’universalité du salut est dès le départ au cœur de l’espérance chrétienne.
L’étonnement, ou plutôt l’émerveillement, des parents de Jésus résulte de ce qu’ils n’ont pas encore pu pénétrer tout son mystère après les révélations qui ont été faites à Marie de la conception virginale par le Saint Esprit[10] et aux bergers par les anges du signe de la naissance du Christ Seigneur et sauveur.[11]
L’oracle de Syméon est réservé à Marie, peut-être parce que Joseph n’en connaîtra pas l’aboutissement, ou parce qu’elle vivra dans sa chair tout son développement, puisqu’elle survivra à son fils[12]. Ainsi Marie, avec l’Église naissante, est amenée à confesser la foi en son fils mort et ressuscité.
Syméon souligne que la personne de Jésus ne laissera personne indifférent. Il provoquera la chute le relèvement de beaucoup en Israël. Il réalisera la prophétie attestant que la sainteté du Seigneur assure la protection du fidèle.[13] Le Christ sera la pierre de faîte, sur qui se bâtit la construction, la communauté des croyants, mais aussi la pierre d’achoppement qui fera trébucher beaucoup. L’œuvre de Dieu est perdition pour l’incroyant et salut pour le croyant. Mystère du Christ qui nous traverse tous encore aujourd’hui.
Jésus est un signe contesté. Il est signe car il ne s’impose pas, mais doit être accueilli librement dans la foi. Mais il sera toujours contesté, de tous temps. Et de fait, une majorité d’Israël le refusera. Comme une grande partie de l’humanité. Un refus qui est ainsi annoncé par les Écritures et qui semble s’inscrire dans le dessein de Dieu. Mais un signe contesté qui est aussi Bonne Nouvelle, puisque le salut qui est refusé par les uns sera alors proposé aux autres, à qui il n’était pas au départ destiné.
L’âme de Marie, toute sa personne, sera traversée d’un glaive. Une obscure menace pour la mère de Jésus qui doit se comprendre dans son contexte. Son fils sera signe de division dans son peuple, et ce drame viendra diviser Marie. Certains voient également dans l’avertissement une annonce de la Passion, dont on imagine qu’elle viendra clouer Marie de douleur.
L’échec complet de la mission de Jésus serait peut-être qu’il laisse le monde indifférent. Parce qu’alors, il serait mort pour rien et la douleur de Marie aurait été répandue pour rien. Pendant tout son ministère, Jésus n’aura de cesse de dénoncer l’incrédulité profonde de ses auditeurs, souvent les plus raisonneurs et les plus dévots. On constate pourtant que même auprès des plus incrédules et de ceux qui le refusent, l’évocation de sa personnalité continue à provoquer des réactions, même si elles sont négatives.
La capacité de Jésus d’interpeller notre humanité demeure ainsi intacte. Parce qu’elle conserve toute sa force de révélateur de nos pensées les plus intimes : Ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. Jésus rejoint l’universel de l’âme humaine, il est le Fils du Dieu qui connaît nous cœurs.[14] Sa gloire, la densité pour nous de sa présence, réside peut-être justement dans ce rôle de révélateur de l’âme. Marie, parce qu’elle s’associe à la gloire de son fils, participe de cette révélation.
[1] Lv 12,1-8 : Il s’agit d’une purification du sang versé lors de l’accouchement.
[2] Tout mâle ouvrant le sein sera appelé saint pour le Seigneur (Ex 13,2).
[3] Le sacrifice de petite volaille était celui prescrit pour les pauvres (Lv 12,8).
[4] Lc 1,28.
[5] Mt 1,19.
[6] Lc 1,67-79 : Le cantique de Zacharie.
[7] Marque traditionnelle des prophètes de l’Ancien Testament (voir par ex. Ez 11,5).
[8] Le traditionnel Nunc Demittis de l’office de complies.
[9] C’est d’ailleurs la première annonce de salut des païens chez l’évangéliste Luc. Il ne sera clairement proclamé qu’à partir de la révélation pascale (Lc 24,4-7).
[10] Lc 1,35-37.
[11] Lc 2,11-14.
[12] Luc, pas plus que Matthieu et Marc, ne la représente pas au pied de la Croix. Il la fait cependant apparaître, à côté des apôtres, dans la chambre haute, après la résurrection (Ac 1,14).
[13] Il sera un sanctuaire et une pierre que l’on heurte (Is 8,14).
[14] Lc 16,15.