méditation du mardi saint

Voici la méditation qu’Alexis nous propose en ce mardi de la semaine sainte

La prophétie d’Isaïe indique aujourd’hui l’universalité de la mission du serviteur de Dieu. Il est appelé       non seulement à rassembler à Jérusalem le peuple dispersé, mais surtout à être la lumière des nations. Le salut pour l’humanité est proclamé et il figure pour nous chrétiens la rédemption apportée par Jésus, le Christ, le serviteur souffrant, quand se lèvera la lumière de sa Pâque.

Le second prophète Isaïe[1] annonce le retour du peuple juif d’exil, avec la déchéance de Babylone et le triomphe des Perses. Il s’adresse d’abord à tout le peuple d’Israël, puis progressivement plus à une élite de ce peuple. Ses prophéties sont marquées par un retournement de situation où, d’opprimés, les juifs se retrouvent consolés, par la restauration de Jérusalem et la conversion des nations au vrai Dieu. Son œuvre[2] est connue sous la dénomination de livre de la consolation d’Israël,[3] car il annonce le salut.

Celui qui parle est le serviteur de Dieu. Il n’est pas toujours facile de cerner qui est ce serviteur anonyme, parce qu’Isaïe l’identifie, au fil des prophéties, à des personnes différentes, individuelles ou collectives. Ainsi, il qualifie parfois[4] le roi Cyrus de Perse – pourtant païen – d’élu, de serviteur ou de messie parce ce qu’il accomplit le projet de Dieu de renvoyer les exilés et de rebâtir Jérusalem. Le plus souvent[5], c’est le peuple d’Israël dans son ensemble, qui est appelé serviteur, pour souligner que, depuis sa libération d’Egypte, il est au service de Dieu dans une relation faite à la fois de dépendance et d’intimité. A d’autres occasions[6], le serviteur désigne le peuple élu dans son élite, le petit reste des fidèles du Seigneur qui n’a pas failli et qui a pour tâche de relever les survivants d’Israël et de porter la lumière aux nations. Ou encore, le second Isaïe, lui-même déporté et opprimé, qui est resté ferme et vient réconforter ses compatriotes[7]. En l’occurrence, le terme désigne à la fois le prophète et l’élite d’Israël.

La tradition juive a généralement vu dans ce serviteur Israël celui qui propose aux nations le droit exigé par Dieu et la Loi que Dieu lui a confiée pour qu’il la transmette au monde. Des interprétations tardives[8] identifient le serviteur au Messie à venir qui intervient dans les épreuves douloureuses comme dans les pages glorieuses du peuple d’Israël et qui triomphera à la consommation des temps. On est proche de l’interprétation chrétienne qui identifie le Christ au serviteur juste dont la mort est agréée en sacrifice d’expiation et qui a été promis au-delà du tombeau à une vie intense et féconde.

Le serviteur parle aux nations et pas au peuple d’Israël dans son ensemble. Dans son adresse solennelle[9]Ecoutez-moi, vous les îles, soyez attentives, populations du lointain – qui n’est pas sans rappeler celle de Moïse donnant les termes de l’Alliance[10], il proclame la légitimité de sa mission, qu’il tient du Seigneur. Dieu a reconnu son serviteur depuis toujours, il l’a formé dès le sein maternel et lui a donné son nom – donc sa personnalité. Il est sous la protection de Dieu et sa parole est tranchante, un glaive acéré.[11] Il vient manifester la gloire de Dieu, sa splendeur. La mission qu’il a reçue est épuisante, la tâche semble insurmontable, mais il est vain d’y résister car toute la force du Seigneur l’y pousse. Sa destinée est en Dieu, car de lui il recevra sa récompense.[12]

La mission du serviteur est double. Tout d’abord, il doit rassembler Israël, regrouper le peuple dans son ensemble, parce qu’il a du poids auprès de Dieu, une manière d’exprimer son amour.[13] Cela concerne bien sûr le retour d’exil à Babylone et le relèvement de Jérusalem, mais surtout le rétablissement de la relation de confiance dans une Alliance d’amour restaurée. Jésus plus tard s’identifiera pleinement à cette tâche de rassemblement et d’unité du peuple, et il ira jusqu’à pleurer sur Jérusalem qui ne l’a pas reconnu[14]. Sa mission concerne d’abord les brebis égarées d’Israël[15] et lui sera en quelque sorte concédée, même paradoxalement, par les autorités religieuses juives[16].    

Mais la mission va bien au-delà de relever et de ramener le peuple d’exil. Elle s’étend à toutes les nations, dont le serviteur sera la lumière. Autrement dit il les guidera, les éclairera dans leur route pour porter le salut aux extrémités de la terre. Là encore, l’Eglise verra dans la Christ la réalisation concrète de la prophétie, lui qui est lumière des nations.[17] Jésus portera le salut aux extrémités de la terre.[18]

Le Christ Jésus s’est identifié pleinement à la personne et à la mission du serviteur d’Isaïe. L’Eglise hérite de ce ministère de lumière et d’unité. Sans relâche, elle doit manifester la gloire de son Dieu en guidant une humanité souvent sans repère et en concrétisant l’amour infini qu’il porte à tous les peuples.


[1] On considère généralement que la rédaction du livre d’Isaïe s’est étendue sur plus de deux siècles et a été élaborée par une « école » dont on identifie trois prophètes. Le second Isaïe écrit probablement dans la période des années 550-539 ACN et prédit le retour d’exil à Babylone.

[2] On lui attribue les chapitres 40-55 du livre d’Isaïe.

[3] En référence à son adresse : Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu, rassurez Jérusalem et proclamez à son adresse que sa corvée est remplie, que son châtiment est accompli, qu’elle a reçu de la main du Seigneur deux fois le prix de toutes ses fautes (Is 40,1).

[4] Par exemple dans Is 44,24-28 où Dieu appelle Cyrus en l’appelant serviteur et berger.

[5] Dans les chapitres 41 à 48 du livre d’Isaïe.

[6] Surtout à partir du chapitre 49.

[7] Le Seigneur Dieu m’a donné une langue de disciple pour que je sache soulager l’affaibli (Is 50,4).

[8] Dans le Targum, commentaire araméen contemporain du début de l’ère chrétienne.

[9] Ce n’est pas la première fois que le prophète s’adresse aux nations. Ainsi : Tenez-vous en silence devant moi, vous les îles et que les populations retrempent leur énergie (Is 41,1).

[10] Le Shema Israël, profession de foi juive traditionnelle : Ecoute Israël. Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un (Dt 6,4).

[11] Dans l’Apocalypse de Jean, le Fils de l’homme est lui aussi doté d’une parole tranchante : De sa bouche sortira un glaive acéré à deux tranchants (Ap 1,16).

[12] C’est tout le drame du ministère prophétique, qu’exprime aussi Jérémie : Seigneur, tu as abusé de ma naïveté, oui j’ai été bien naïf, avec moi tu as eu recours à la force et tu es arrivé à tes fins. A longueur de journée, on me tourne en ridicule, tous se moquent de moi (Jr 20,7).

[13] Dieu a déjà fait pareille déclaration d’amour à son peuple : Du fait que tu vaux cher à mes yeux, que tu as du poids et que moi, je t’aime (Is 43,4).

[14] Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu (Mt 23,37).

[15] Je n’ai été envoyé qu’aux brebis égarées de la maison d’Israël (Mt 15,24).

[16] Il fallait que Jésus meure pour la nation et non seulement pour elle, mais pour réunir dans l’unité les enfants de Dieu qui sont dispersés (Jn 11,51-52).

[17] Selon la prophétie de Syméon : Lumière pour la révélation aux païens et gloire d’Israël ton peuple (Lc 2,32).

[18] Comme l’assure Paul aux païens à Antioche de Pisidie : Car tel est bien l’ordre que nous tenons du Seigneur : je t’ai établi lumière des nations pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre (Ac 13,47).

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