
La fondation de l’Eglise d’Antioche, capitale de la Syrie, à l’époque, en plein pays païen, se révèle une étape essentielle dans l’extension de l’Eglise L’Esprit saint pousse les apôtres vers les centres vitaux, les centres d’influence du monde d’alors. L’Eglise y acquiert son identité propre, désormais distincte d’une secte juive, et une stature universelle, regroupant des femmes et des hommes d’horizons divers.
La dispersion des croyants va favoriser, d’une manière involontaire, l’explosion missionnaire de l’Eglise. Les persécutions de l’Eglise de Jérusalem se sont systématisées après le martyre d’Etienne[1]. Jusqu’alors, c’étaient des individus qui étaient visés par les autorités juives[2], mais désormais, tous les croyants sont concernés[3]. Tous se dispersent dans la diaspora, à l’exception des apôtres[4], qui restent à Jérusalem. La Parole de Dieu, quittant Jérusalem où elle était arrivée en provenance de Galilée[5], va ainsi passer de lieu en lieu[6] pour évangéliser toutes les nations.
Les missionnaires se répandent hors d’Israël, en Phénicie, à Chypre et à Antioche. Dans une constance qui sera celle de la prédication dans les terres païennes, ils adressent d’abord aux Juifs pour les convertir à l’Evangile du Christ. A Antioche la Parole de Dieu est également adressée aux Grecs[7] par les Hellénistes eux-mêmes[8]. Leur mission est fructueuse et reçoit l’aide de Dieu. Le Seigneur, qui avait provoqué la conversion de Corneille[9] et des siens, ne peut qu’approuver les initiatives de ces missionnaires. Ils inaugurent de manière définitive l’évangélisation des païens et l’ouverture de l’Eglise aux autres cultures. Désormais, ce ne seront plus quelques personnes isolées, mais des groupes ethniques entiers qui seront concernés par l’annonce de l’Evangile.
La conversion des païens attire l’attention de l’Eglise de Jérusalem[10], qui manifeste le souci de nouer ou de maintenir des relations avec les autres Eglises. Auparavant, c’étaient les apôtres eux-mêmes qui avaient assuré cette liaison[11]. Pour des raisons non précisées[12], un délégué y est mandaté. Plus tard, Pierre lui-même se rendra à Antioche[13].
Barnabas[14] est ainsi envoyé à Antioche. C’est un homme droit, autrement dit, il pratique la justice, est pleinement ajusté à Dieu. Il est rempli d’Esprit saint et de foi. Ce qui signifie que c’est l’Esprit qui, par l’intermédiaire de Barnabas, appuie efficacement la prédication aux païens. Dans cette joie de l’effusion de l’Esprit, une foule nombreuse se rallie.[15]
Barnabas fait appel à Saul pour travailler ensemble à la conversion des païens. Ce dernier s’était réfugié à Tarse après avoir fui Jérusalem.[16] On présente souvent Barnabé comme le collaborateur de Paul. Les faits indiquent plutôt que c’est Barnabé qui s’adjoint Paul et lui donne l’occasion de commencer la mission auquel celui-ci a été appelé[17] et donc de devenir l’apôtre des nations. Barnabas agit entièrement en instrument de Dieu.
La communauté d’Antioche est qualifiée d’Eglise. C’est la première fois que ce terme est donné à un groupe de disciples en dehors de Palestine. Elle devient ainsi l’Eglise-fille de l’Eglise de Jérusalem. Une Eglise composée à la fois de circoncis et d’incirconcis. C’est peut-être à Antioche que l’Eglise prend conscience, pour la première fois, de sa catholicité et, par son lien à Jérusalem, de son unicité.
Pour la première fois également, le nom de chrétiens[18]est attribué aux disciples. Alors que toutes les autres appellations proviennent des intéressés eux-mêmes[19], c’est dans des milieux extérieurs que se situe la création du mot chrétien, autrement dit adepte, partisan du Christ. Son apparition manifeste que l’Eglise d’Antioche est perçue par l’opinion non plus comme une secte juive[20], mais comme un groupe religieux nouveau, qui se réclame du Christ. Désormais, l’appellation marquera l’identité de l’Eglise.[21]
Aujourd’hui, l’Eglise trouve son chemin en se laissant guider par les évènements et par l’Esprit. Les difficultés actuelles rencontrées par nos communautés ne doivent-elles pas être vécues comme autant d’opportunités à être une Eglise missionnaire ? La perspective s’élargit encore devant la diversification de plus en plus large des cultures en présence et des attentes.[22] Les origines se diversifient de plus en plus au sein de nos Eglises. Des enjeux majeurs apparaissent dans l’articulation de la catholicité et de l’unité des Eglises-sœurs. Plus que jamais, c’est en discernant l’Esprit saint et la grâce de Dieu au sein de nos communautés que nous ferons Eglise. Et ce n’est pas en nous attribuant nous-mêmes le nom de chrétiens que nous ferons l’œuvre de Dieu. Nous ne serons reconnus comme tels par le monde extérieur, souvent hostile, qu’en marquant notre différence dans le concret de nos actes. Comme l’ont fait autrefois les chrétiens de l’Eglise d’Antioche.
[1] Ac 6,8 – 8,1 : Activité et arrestation d’Etienne, son discours et sa lapidation.
[2] Pierre et Jean, Etienne.
[3] Particulièrement les Hellénistes (voir Ac 6,1). Les Hellénistes étaient des disciples qui se différenciaient des Hébreux par leur lieu de naissance hors de Palestine (bien que ce critère ne soit pas décisif, ainsi Saul, considéré comme Hébreu, était né à Tarse), leur langue maternelle (le grec) et parce qu’ils étaient ouverts dans leur manière de comprendre et de vivre le judaïsme et la foi chrétienne.
[4] Leur fidélité relative au judaïsme local les met provisoirement à l’abri de la persécution.
[5] L’œuvre de l’évangéliste Luc est un grand mouvement où, avec Jésus, la Parole de Dieu monte de Galilée à Jérusalem (l’évangile de Luc) pour en redescendre dans toutes les nations (les Actes).
[6] D’abord en Samarie (Philippe), puis à Césarée (Pierre), enfin à Antioche (les Hellénistes).
[7] Il s’agit ici aussi des Hellénistes.
[8] Un des Sept, Nicolas, était originaire d’Antioche (Ac 6,5). D’autres missionnaires étaient originaires de Chypre, Barnabas (Ac 4,36) et Mnoson (Ac 21,16), ou encore de Cyrène, Lucius (Ac 13,1).
[9] Conversion du centurion romain Corneille à Césarée par Pierre (Ac 10,1-33).
[10] C’est à Jérusalem que le terme Eglise est utilisé pour la première fois pour désigner la communauté des disciples (Ac 11,1). L’Eglise de Jérusalem deviendra ainsi l’Eglise-mère de toutes les autres.
[11] Pierre s’était rendu à Césarée auprès du centurion Corneille.
[12] On peut penser à la langue, la distance, ou encore le fait qu’Antioche est une ville païenne.
[13] A un moment indéterminé, après le « concile » de Jérusalem, à l’occasion du conflit d’Antioche (Ga 2,11). Pierre sera cependant considéré comme le « fondateur » de l’Eglise d’Antioche, à tel point que les patriarches d’Antioche se considèrent encore aujourd’hui comme ses successeurs.
[14] C’est la deuxième fois qu’il apparaît dans le livre des Actes. On sait de lui (Ac 4,36) que c’est un lévite originaire de Chypre. Son nom est Joseph, surnommé Barnabas, « l’homme du réconfort ». C’est lui qui, dans le deuxième sommaire sur le partage des biens, avait vendu son champ pour mettre le montant de la vente à la disposition des apôtres.
[15] Le thème de la croissance de l’Eglise est récurrent dans le livre des Actes.
[16] Après sa conversion à Damas, Saul y avait prêché quelque temps avant de fuir (Ac 9,11b-25). Il s’était rendu à Jérusalem où Barnabas l’avait introduit auprès des apôtres. Il avait fui la ville car les Hellénistes avaient cherché à le faire périr (Ac 9,26-30). Selon Ga 1,18 – 2,11), cette disparition aurait duré près de dix ans. C’est donc Barnabé qui, après avoir été son mentor auprès des apôtres, le « remet en selle » à Antioche.
[17] La vocation de Saul (Ac 9,15).
[18] En grec christianos, qui provient de Christos (le Christ).
[19] Frères (Ac 1,15), Croyants (Ac 2,44), Disciples (Ac 6,1), la Voie (Ac 9,2), Les Saints (Ac 9,13).
[20] Dans le procès de Paul à Césarée, le réquisitoire de Tertullus utilisera encore le terme péjoratif de secte des Nazoréens Ac 24,5).
[21] Même si le nom de chrétien pourra être utilisé comme sobriquet par les païens, comme le suggère Pierre : « Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’en ait pas honte, qu’il glorifie plutôt Dieu de porter ce nom » (1 P 4,16).
[22] Le récent synode sur l’Amazonie le montre clairement, en pointant des fonctionnements, des besoins et des attentes que ne rencontrent pas nos Eglises occidentales.