
Comme tous les mardis et dimanche, Alexis nous partage une belle méditation
De quoi demain sera-t-il fait, et comment parler de joie dans un monde violent ? Et pourtant, le discours de Jésus ne se situe-t-il pas dans un contexte encore plus dramatique, celui de sa mort ? Il en appelle néanmoins à la joie ceux qui demeurent dans son amour. Dieu est amour, il est joie. Pour le comprendre, il faut aimer, se réjouir. Et observer son commandement d’amour.
Demeurer signifie à la fois rester, subsister, exister ou même attendre. Un verbe qui suggère l’importance du temps dans la relation, pour que se fasse un échange profond, que s’établisse une communion intense et stable entre les personnes. Il s’agit d’entrer avec l’autre dans une alliance, où chacun partage de son être propre. Ce partage a une origine, l’amour de Dieu, et il s’épanouit dans un accomplissement inouï.
Jésus a assuré ses disciples qu’ils porteront les fruits en abondance en vertu de leur attachement à lui[1]. Il les aime du même amour que son Père l’a aimé. L’amour mutuel du Père et du Fils constitue le socle et le modèle de l’existence chrétienne qui s’exprime dès lors par l’amour. Ce qui s’exprime en demeurant dans cet amour et, concrètement, par l’observance du commandement d’amour mutuel. Le mot commandement peut sembler paradoxal quand il s’agit d’amour. Mais il traduit la force d’un appel irrépressible que Jésus lance comme une parole performative.[2] Une parole d’amour qui est de l’ordre de la création d’un monde nouveau.
Demeurer dans l’amour de Dieu engendre la joie parfaite. Signe d’une vie qui s’épanouit, la joie est traditionnellement considérée comme la caractéristique du salut et de la paix de la fin des temps. La joie du Christ ressuscité est partagée dès maintenant par ses disciples qui vivent d’une existence nouvelle. Jésus propose le bonheur en plénitude, une béatitude qui n’exclut d’ailleurs pas l’épreuve, mais qui aide à la dépasser.
L’exigence d’amour de Jésus est fondée sur sa manière d’être en relation à l’autre dans l’amour. Ce qu’il présente est moins un style d’existence ou une norme qu’une possibilité de vivre pleinement l’amour fraternel et l’édification mutuelle. L’amour n’atteint son plein épanouissement que dans une communauté où il y a échange, don et accueil. Il réclame une humilité et une disponibilité qui vont jusqu’à prendre la dernière place et à mourir pour les autres. A l’instar de Jésus, dont la mort sur la croix fut l’expression suprême de son amour pour le Père, mais aussi pour ceux qu’il appelle maintenant ses amis.
L’amour fraternel vécu comme don de soi modifie radicalement le rapport de Jésus aux siens. Désormais ils ne sont plus serviteurs[3], considérés comme les exécutants d’ordres dont ils ne peuvent saisir la signification ou la portée, mais amis, puisqu’ils obéissent en connaissance de cause. En effet, Jésus leur a révélé intégralement les intentions du Père, et dès lors leur obéissance est œuvre à la fois d’amour et de liberté.
L’amitié est un libre choix, mais l’amitié de Jésus est un choix prioritaire, à l’image de l’élection de Dieu pour son peuple[4], qui appelle l’adhésion de la foi. Un choix qui institue les disciples, les place en charge, pour faire participer l’humanité à la vie en plénitude offerte par le Christ. Et l’efficacité de la mission qu’il confie ainsi dépend radicalement du rapport à lui, de la prière confiante de demande, qui toujours sera exaucée.
La joie parfaite, quelles que soient les épreuves auxquelles l’être humain est confronté, a un fondement spirituel, la certitude d’être aimé de Dieu. Et cela, rien ne peut le lui enlever, l’homme est aimé de Dieu. Tout être humain est aimé de Dieu, sans aucune distinction de condition, de sexe, de dignité, de religion. Déraisonnablement, l’homme est aimé. Alors que déraisonnablement, lui aussi, il aime[5]. Pour qu’enfin une parole de paix, une parole d’amour, retentisse dans ce monde.
[1] Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez des fruits en abondance et que vous soyez pour moi des disciples (Jn 15,8).
[2] De même que la Parole de Dieu, qui accomplit ce qu’elle énonce. Quand il dit, par exemple, «Que la lumière soit» (Gn 1,3), la lumière est créée. Si Jésus dit «Aime», l’homme aimera peut-être, car il est libre de sa réponse.
[3] En grec doulos, littéralement esclaves.
[4] Car tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu ; c’est toi que le Seigneur ton Dieu a choisi pour devenir le peuple qui est sa part personnelle parmi tous les peuples qui sont sur la surface de la terre (Dt 7,6).
[5] Il faut vous aimer à tort et à travers, écrivait Julos Beaucarne le soir du meurtre de sa femme par un homme devenu fou.