méditation de ce 21 mai

La vraie religion n’est pas tant celle de la pratique rituelle que la fidélité au Dieu de l’Alliance en qui on place sa foi et l’exercice de la justice. Et le culte reste sans valeur s’il n’est pas l’expression des valeurs morales qui le sous-tendent. Telle est l’héritage de la Sagesse du peuple élu qui vient nourrir la relation du chrétien à Dieu. Une perspective qui s’élargit dans le don total de lui que fait le Christ Jésus.

Le Siracide[1] appartient à la littérature sapientielle tardive.[2] Rejeté du canon juif[3], c’est le seul écrit de l’Ancien Testament, hormis les livres prophétiques, dont l’auteur soit connu de manière certaine.[4] Il vise à défendre le patrimoine religieux et culturel du judaïsme. Israël possède dans sa Loi révélée l’authentique Sagesse, qui n’a rien à envier des conquêtes réelles, mais ambigües de la pensée et de la civilisation grecque. L’auteur veut réaliser une synthèse de la religion traditionnelle et de la sagesse commune, enrichie de sa propre expérience. Il développe une conception de Dieu et de ses relations à l’homme, et par conséquent de la crainte de Dieu[5], fondée moins sur la spéculation que sur une piété authentique issue de son expérience personnelle.

Le Siracide accorde une place importante à l’aspect cultuel de la religion, mais, dans la tradition des prophètes, il insiste sur la rectitude morale qu’il identifie avec l’observation de la Loi. En matière d’offrandes, il demande qu’on joigne l’observance des prescriptions de la Loi aux pratiques rituelles. Le culte sert à affirmer la valeur proprement religieuse de la vie morale. Même s’il porte une grande estime aux rites extérieurs, il affirme avec vigueur[6] que la matérialité des sacrifices est inopérante auprès de Dieu qui exige la rectitude morale de celui qui offre. Les prophètes avaient déjà condamné cette conception du sacrifice destiné à se concilier Dieu.[7] Seuls comptent, pour obtenir le salut, le repentir de l’homme et la miséricorde divine.[8]

Le sacrifice[9] le plus accompli, apportant le salut et la paix, est le sacrifice de louange,[10] autrement dit celui qui s’accompagne de la confession, en rendant grâces pour les œuvres de Dieu. Il recherche l’expiation des péchés. Seul celui qui cherche la justice verra son sacrifice agréé. De même, il faut fuir la reconnaissance humaine, dans la pratique de l’aumône, pour ne viser que la seule action de grâce religieuse. Dans le mémorial,[11] il faut glorifier le Seigneur par la générosité, c’est-à-dire donner à la mesure des dons reçus de Dieu et selon ses propres moyens. Le Seigneur rendra alors en plénitude à ce que l’on lui donne. Pour nous chrétiens, le sacrifice de louange et le mémorial sont transcendés dans l’Eucharistie, où le Christ offre son corps et son sang pour le salut du monde. On comprend mieux alors la relation entre le sacrifice eucharistique et la justice, la générosité, la reconnaissance, le repentir du pécheur ou l’action de grâce pour les dons reçus.

Le sacrifice injuste est celui qui cherche à corrompre le Seigneur par des dons. Dieu est un juste juge, qui ne tient pas compte des dons qui lui sont fait à cet effet. La gloire de la personne n’est rien auprès de lui. L’idée de l’impartialité de Dieu est très prégnante et appartient à la tradition du peuple élu.[12] Elle est également très présente dans le Nouveau Testament, qui présente un Dieu jugeant chacun selon son œuvre.[13] Elle y est transposée dans de nombreuses situations concrètes, pour indiquer que le Dieu de Jésus Christ ne regarde pas la situation des hommes[14] qu’il n’a pas de considération de personnes[15] ou qu’il ne tient pas compte de la situation sociale, de l’appartenance nationale, etc.[16] Ce qui rend l’homme agréable à Dieu, ce ne sont ni la pureté rituelle ni les sacrifices, mais la qualité générale de sa vie religieuse, autrement dit sa justice et, plus profondément, sa foi.

Le Siracide interpelle aujourd’hui notre pratique religieuse. Nos rites ne servent-ils pas parfois de paravent à notre indifférence religieuse ? Quel sens donner à nos célébrations si nos convictions sont tièdes ou vacillantes ? Les prières que nous adressons à Dieu ne sont-elles pas trop souvent du donnant-donnant ? Nous rappelons-nous suffisamment, dans le sacrifice de l’Eucharistie, la dimension d’oblation, de don de soi, de générosité qui est sous-jacente ?

Dieu examine chacun des êtres humains de manière impartiale. Pour lui importent la foi, la fidélité et la justice. La foi consiste à s’appuyer sur lui comme sur quelqu’un en qui on puisse compter, et qui nourrit. La fidélité signifie répondre à son commandement d’amour pour lui et pour les autres. La justice est l’aptitude à établir une relation équilibrée et ajustée à lui et à autrui dans la dignité et le respect mutuels. Tel est l’enseignement de la Sagesse de Dieu.   


[1] La tradition juive lui attribue le nom de Proverbes de Ben Sira, ou de Sagesse de Jésus, fils de Sirack. La tradition chrétienne, depuis Cyprien, lui attribue également le nom d’Ecclésiaste (livre de l’Eglise ou de l’Assemblée).

[2] Il a été écrit vers 18O avant l’ère chrétienne.

[3] Canon de Jamnia au premier siècle. Il appartient ainsi aux écrits deutérocanoniques ou apocryphes de l’Ancien Testament.

[4] Ben Sirack (ou Sira) était un notable juif pénétré par l’amour de la Loi vivant à Jérusalem vers 200 ACN. Il a écrit en hébreu et son traducteur en grec était son petit-fils. Le texte hébreu s’est perdu après le IV° siècle et n’a été Partiellement retrouvé qu’au XIX° siècle.

[5] La crainte de Dieu n’est pas la peur. Elle suppose la foi au Dieu d’Israël, implique la fidélité à toutes les exigences de l’Alliance à Dieu et à autrui, et conduit à la sagesse qui ne doute pas, qu’en dépit des apparences, le monde ait un sens voulu par son Créateur.

[6] Ne dis pas : « Il regardera l’abondance de mes offrandes, quand je les présenterai au Très-Haut, il les acceptera » (Si 7,9).

[7] Que me font la multitude de vos sacrifices, dit le Seigneur ? Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus (Is 1,11).

[8] Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, mettez au pas l’exacteur, faites droit à l’orphelin, prenez la défense de la veuve (Is 1,17)

[9] Le livre du Lévitique faisait la part entre le sacrifice de louange (Lv 7,12-15), le sacrifice votif (Lv 7,16) et le sacrifice spontané (Lv 7,16).

[10] Appelé aussi sacrifice de paix, de communion ou d’alliance.

[11] Le mémorial est la part prélevée sur l’oblation pour être consommée par le feu.

[12] Il n’est pas quelqu’un qui tient compte des personnes, il n’est pas quelqu’un qui reçoit des dons, s’il dit qu’il exécutera son jugement sur chacun ; si quelqu’un donne tout ce qu’il a sur la terre, il ne regardera pas le don de la personne, ni n’acceptera quoi que ce soit de ses mains, car il est un juge juste (Livre des Jubilés 5,16).

[13] Et si vous invoquez comme Père celui qui sans partialité juge chacun selon son œuvre, conduisez-vous avec crainte durant le temps de votre séjour sur la terre (1 P 1,17).

[14] Ainsi Paul commente-t-il l’assemblée de Jérusalem : Mais en ce qui concerne les personnalités – ce qu’elles étaient alors peu m’importe : Dieu ne regarde pas la situation des hommes – ces personnages ne m’ont rien imposé de plus (Ga 2,6).

[15] Car en Dieu, il n’y a pas de partialité (Rm 2,11).

[16] A l’occasion de la conversion du centurion romain Corneille, Pierre débute son discours en disant : Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial (Ac 10,34).

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