
La lettre de Jacques occupe une place particulière dans les écrits du Nouveau Testament. Elle se situe en effet en dehors des grands courants de la théologie chrétienne qui l’ont vu naître[1] et a difficilement trouvé sa place dans le canon des Ecritures.[2] Attribuée traditionnellement à Jacques, frère du Seigneur, elle s’adresse à des chrétiens d’origine juive.[3] Son auteur paraît mener un combat sur deux fronts, contre les Eglises trop attachées au souvenir de Paul d’une part, et contre les Juifs riches d’autre part. De là l’importance prépondérante accordée aux questions morales et le mélange intime de motifs juifs et de motifs grecs.
La problématique de l’épreuve et de la tentation est inhérente à toute réflexion morale. La béatitude de l’épreuve est une forme d’exhortation morale commune à tout l’Ancien Testament. Le bonheur est promis à celui qui suit la voie de Dieu, la loi de liberté qu’il trace.[4] Avec le Christ, ce bonheur est la vie éternelle, promise particulièrement à ceux qui endurent les épreuves.[5] Un bonheur en plénitude est destiné à ceux qui ont été éprouvés de cette manière.[6]
Autre est le processus de la tentation. Dieu est inaccessible au mal, autrement dit il ne peut tenter personne et ne peut pousser l’être humain à commettre le mal.[7] L’homme est responsable de ses manques, même si souvent il cherche à en rejeter sur le Seigneur la faute.[8] Il est aguiché et séduit par la convoitise, les passions qui le taraudent, ses penchants mauvais ou son esprit de perversion. En cela, la tentation se différencie nettement de l’épreuve[9] et se réfère à une vision de l’homme pêcheur divisé entre des puissances invisibles.[10]
Pour Jacques, le péché n’est pas une puissance extérieure à l’homme[11], mais bien la faute elle-même. Parvenu à maturité, il engendre la mort. Pas seulement la mort physique, mais aussi et surtout cette mort éternelle qui s’oppose à la vie en plénitude à laquelle le croyant est appelé à naître. Le péché génère la mort de l’être.
La vie éternelle est un don parfait de Dieu. Père des lumières,[12] il est lui-même la lumière, il a tout créé et tout don vient de lui. Il engendre le croyant à la vie en plénitude par sa parole de vérité. Cette parole, dont l’initiative revient à la volonté de Dieu, évoque l’Evangile, enseignement que les croyants accueillent et qui les conduit au salut, mais aussi une sagesse de vie. Alors que la convoitise enfante la mort, cette parole fait exister les chrétiens comme prémices d’une création nouvelle.
Hier comme aujourd’hui, les épreuves jalonnent l’existence des chrétiens. Il ne sert de rien de vouloir les nier ou les écarter, elles appartiennent à l’expérience commune des croyants. Au quotidien, des personnes, des communautés, des Eglises sont persécutées pour leur foi dans toutes les parties du monde. La persévérance à supporter les épreuves est, selon Jacques, source de bonheur pour une vie en plénitude. La leçon n’est pas à entendre comme une incitation à une acceptation passive et résignée, mais plutôt telle une invitation à mobiliser les énergies, les intelligences, les volontés pour témoigner d’un Evangile qui dérange les idées reçues, dénonce les injustices et les égoïsmes. Pour provoquer les persécuteurs et les détracteurs à une prise de conscience des enjeux de solidarité, de partage et d’amour que véhicule la Parole de Dieu.
[1] A la fin du premier siècle.
[2] Elle a été admise progressivement à partir du troisième siècle, mais a continuée d’être critiquée pour des aspects non apostoliques, notamment par Luther qui la traitait d’épître de paille et doutait même de son caractère chrétien.
[3] La lettre est adressée aux douze tribus de la dispersion, probablement à des Juifs hellénisés.
[4] Mais celui qui s’est penché sur une loi parfaite, celle de la liberté, et s’y est appliqué, non en auditeur distrait, mais en réalisateur agissant, celui-là sera heureux dans ce qu’il réalisera (Jc 1,25).
[5] C’est le thème des Béatitudes des persécutés chez Matthieu (Mt 5,10-12) ou encore la béatitude eschatologique de la vision de l’Apocalypse : Heureux dès à présent ceux qui sont morts dans le Seigneur (Ap 14,13).
[6] Les premières communautés chrétiennes font durement l’expérience de cette épreuve, dans les persécutions qu’elles subissent tant de la part des autorités romaines que de la Synagogue.
[7] La troisième demande du Notre Père devrait ainsi être comprise non pas comme « Ne nous soumets pas à la tentation », mais plus exactement comme « Fais que la tentation ne nous emporte pas ».
[8] Ne dis pas : « C’est à cause du Seigneur que je me suis écarté », car ce qu’il déteste, il ne le fait pas (Si 15,11).
[9] L’épreuve peut être initiatique et être un passage obligé pour accéder à plus de vérité.
[10] Dieu et le monde : L’amitié envers le monde est hostilité contre Dieu (Jc 4,4) ; Dieu et le diable : Soumettez-vous donc à Dieu mais résistez au diable et il fuira loin de vous (Jc 4,7).
[11] Une conception du péché quelque peu différente de celle de Paul, qui suppose une relation de solidarité entre la transgression d’Adam et les péchés personnels de chaque homme : Voilà pourquoi, de même que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort à atteint tous les hommes : d’ailleurs tous ont péché (Rm 5,12).
[12] Il a créé les astres, il est le Prince des lumières, opposé à l’Ange des ténèbres.