
Le mardi de la semaine sainte, l’Eglise célèbre Jésus trahi et renié par les siens. Dieu livre son propre Fils pour le salut de l’humanité sans rien lui épargner des vicissitudes des hommes. Un de ses apôtres, Judas, le trahira et le livrera à la vindicte de ses ennemis, peut-être parce qu’il n’avait pu voir en lui qu’un agitateur politique. Et Simon-Pierre, à qui il avait confié son Eglise, le reniera au plus profond de la crise, sans doute parce que sa détermination avait faibli dans l’adversité. Mais ce Christ, abandonné des siens, nous le saluons comme notre Roi et nous reconnaissons que sa passion est pour nous source de pardon. Son salut atteint les extrémités de la terre.
Jésus, quand il est abandonné de tous, trouve refuge dans la prière auprès de son Père. Depuis toujours, il a été aux affaires de son Père, et plus que tout autre il pourrait dire avec le psalmiste « Tu m’as choisi dès le ventre de ma mère ». Cette intimité profonde avec son Père, l’espérance qu’il a toujours placée en lui comme sur un rocher toujours accessible, lui fait dire ses louanges et proclamer ses merveilles.
Le psaume 71[1] est sans doute celui qui correspond le mieux à l’état d’esprit de Jésus au moment où il prend conscience de la prochaine défection de ses amis. Il appartient à la catégorie des prières d’appel au secours, de confiance et de reconnaissance. Des prières de louange du Seigneur, mais qui ont pour origine une situation de détresse ou de crise. En l’occurrence,[2] il s’agit d’une prière personnelle et presque individuelle, mais dont le « je » qui est utilisé représente en réalité Israël. Le peuple est présenté comme un vieillard qui a été choisi dès avant sa naissance – l’amour de Dieu est premier – et qui a essayé d’être fidèle jusqu’à ses cheveux blancs. Un vieillard sans force et entouré d’ennemis qui veulent sa perte, et qui ose demander à Dieu non point le prolongement d’une pauvre vie diminuée, mais une nouvelle vitalité, une jeunesse retrouvée, une véritable résurrection. Ce croyant crie et gémit sous l’épreuve, et pourtant il n’est jamais désespéré. A sa demande suppliante, il mêle l’action de grâces.
Aujourd’hui, avec Jésus, le psalmiste exalte en nous le désir de vivre. Cet élan vers la vie, c’est Dieu qui l’a infusé en nous. Tout le psaume proteste contre la dévitalisation, l’amoindrissement vital, au nom même de l’éternité de l’amour. Puisque Dieu nous a créés, parce qu’il nous aime dès le ventre de notre mère, comment pourrait-il nous abandonner ? La résurrection des morts, la résurrection de Jésus, est prévue de toute éternité, et fait partie du projet initial du créateur. N’accusons jamais Dieu d’avoir fait un homme mortel. Son projet, c’est un homme ressuscité ! Cette espérance et cette foi-là percent déjà dans la prière, au sein des situations les plus éprouvantes.
[1] La numérotation hébreuse est sans doute plus universelle que la numérotation latine, puisqu’elle est utilisée, outre par le judaïsme, par toutes les Eglises chrétiennes (orthodoxe, protestantes, anglicane) à l’exception de l’Eglise catholique.
[2] La version grecque ajoute : de David, des fils de Yonadav et des premiers exilés. Ce qui suggère pour le psaume une origine de l’Exil à Babylone et plus précisément des Rékabites, restés fidèles à leurs principes ancestraux en refusant catégoriquement de les violer (Jr 35).