
Merci à Alexis pour cette belle méditation qui nous met en route dans cette semaine à la suite de Jésus.
Tout est surabondant et pour tout dire démesuré dans la Parole de Dieu aujourd’hui. Des apôtres tout joyeux d’avoir subi des humiliations pour le nom de Jésus. Un deuil changé en une danse et des habits funèbres en parure de joie. Des centaines de millions d’anges avec tous les êtres de l’univers chantant les louanges du Seigneur. Pierre qui s’habille pour se jeter à l’eau. Cent cinquante-trois[1] gros poissons gonflant un filet qui ne se déchire pas. Et cet étonnante interrogation : «M’aimes-tu plus que ceux-ci ?». Pour dire la présence du Ressuscité, il faut que le cœur soit en fête et la tête à l’envers. Le Vivant ne se donne à voir que dans la profusion. Le don de vie ne se révèle en plénitude que dans la luxuriance.
Il est tôt au matin de ce jour et les disciples ont passé la nuit à travailler pour rien. La pêche, c’est leur métier, le gagne-pain qu’ils ont repris après leurs années d’errance avec Jésus. Ils sont redevenus pêcheurs de poissons, alors que Jésus les avait institués pêcheurs d’hommes. Ils n’ont rien pris et c’est la désolation. Au lever du jour, Jésus vient et ils le reconnaissent, ce n’est pas la première fois que le Ressuscité leur apparaît.[2] Sur sa parole, ils lancent le filet et trouvent ce qu’ils ont tant cherché en vain.
Les disciples reconnaissent ainsi le Christ ressuscité à l’accomplissement de sa Parole, mais aussi pour l’abondance des bienfaits du Père que Jésus a toujours manifestée : la lumière rendue aux aveugles, la guérison des lépreux, la multiplication des pains. Cette nuit, ils ont connu le manque, et maintenant, ils n’arrivent pas à ramener le poisson tant la prise est abondante. Ils le reconnaissent enfin dans le geste du pain partagé, réminiscence de la dernière Cène qu’ils ont prise avec lui avant son arrestation. A nous aussi, Jésus donne des signes pour le reconnaître.
Comme Pierre, nous sommes interpellés par le Christ : M’aimes-tu plus que ceux-ci ? On comprendrait mieux s’il demandait si on l’aime. Mais c’est le plus qui fait la différence entre le simple amour et l’amour fou. Si la relation à Jésus était de l’ordre d’une bienséance ecclésiale, d’une adhésion à une doctrine, la question ne se poserait pas, car le trop nuit en tout. Mais dans la foi, c’est ce trop qui fait qu’enfin on parle et on agit sous l’influence de l’Esprit. L’amour croit tout, il espère tout. Et comment aimer, si ce n’est pas aimer plus. L’amour, la foi, s’ils sont gardés dans la limite du raisonnable, sont des caricatures.
Par trois fois : Pierre, m’aimes-tu ? L’allusion est déchirante et remet à vif la plaie de la passion. Avant que le coq ait chanté trois fois, ce fut : Non, je ne connais pas cet homme ! Pierre est un passionné, et les passionnés ne sont pas stables. Ils sont tendus vers l’avenir, sans savoir où ils iront. Voilà pourquoi la mort du Christ a été une passion. La question de Jésus n’est pas un reproche, mais c’est le chant d’une passion qui sera réciproque. Jésus, qui aime Pierre, lui confie ses brebis pour qu’il les guide, qu’il marche devant elles, qu’il en prenne la responsabilité. Pour cela, il devra aller au-delà de lui-même, de ses possibilités, dans l’expérience de la passion de Jésus.
S’il s’agit pour notre foi de rencontrer Jésus ressuscité, comment y arriver sans dépasser nous aussi les limites de nos équilibres, de nos paroles, de nos perceptions ? Le Christ est toujours sur l’autre rive, d’où il nous fait signe dans l’aube de Pâques. Il faut se précipiter vers lui avec la passion de la rencontre. Peut-être n’y a-t-il que l’amour pour approcher ainsi jusqu’aux limites du mystère ?
[1] Cent cinquante-trois symbolise le nombre des nations qui étaient alors connues sur la terre.
[2] Il s’agit de l’ultime apparition de Jésus ressuscité aux disciples dans l’évangile de Jean.