
Il n’y a assurément pas grand-chose en commun entre Sainte Lucie, vierge et martyre[1] dont l’Eglise fait mémoire aujourd’hui, et les deux fils de la parabole de Matthieu. Rien, sauf peut-être l’essentiel, l’élan irrépressible qui soutient la jeune fille à ne pas renier sa foi et celui qui porte le fils à travailler à la vigne de son père. Faire alliance avec Dieu est le moteur puissant qui les anime tous deux et les fait accéder à la lumière de celui vers qui ils aspirent. Et qui les pose en témoins d’espérance pour notre monde.
Lucie, au nom de lumière,[2] vient illuminer le chemin de foi des croyants par sa tenace volonté de rester fidèle à Dieu malgré les intimidations et les persécutions.[3] Sa mémoire est célébrée tant à l’Orient qu’à l’Occident ou à l’Europe du Nord[4] par des chrétiens de toutes confessions.[5] Son culte est associé à celui de la lumière en constante progression à l’approche du solstice d’hiver.[6]
La parabole des deux fils intervient chez Matthieu dans une situation assez sombre pour Jésus. Par trois fois, il a annoncé sa Passion et sa Résurrection et est entré à Jérusalem sous les acclamations de ses partisans. Il enseigne au Temple, dont il a chassé les marchands et polémique avec les responsables religieux qui l’ont questionné sur son autorité. Il en vient maintenant à les contester ouvertement.
L’enseignement de la parabole est clair et compréhensible de tous. L’image de la vigne est traditionnelle pour le peuple d’Israël à qui elle s’applique souvent, il est question de l’alliance de Dieu avec son peuple. Le fils qui refuse d’abord de travailler à la vigne puis y va est celui qui fait la volonté du père, les grands prêtres et les anciens sont obligés de le reconnaître. Et le fils qui accepte d’abord de travailler à la vigne mais n’y va pas ne fait pas la volonté du père, et ainsi trahit l’Alliance de Dieu à son peuple.
Jésus en conclut directement que les responsables religieux, par leur attitude, notamment leur inertie devant les enseignements de Jean-Baptiste, ne font pas la volonté de Dieu, qu’ils sont ainsi en rupture d’Alliance et s’interdisent eux-mêmes l’accès au Royaume de Dieu.
Aux responsables bien-pensants, Jésus oppose, avec provocation, les publicains et les prostituées, des catégories décriées. Ils sont exclus du peuple de Dieu parce qu’ils ont commis les plus grandes fautes, dans leurs rapports à l’argent ou au sexe. Et pourtant ils auront plus facilement accès au Royaume parce qu’ils sont capables de conversion. Ce qui importe n’est pas de se dire purs ou de se conformer à la Loi, mais d’agir pour le Royaume après avoir reconnu ses erreurs et avoir opéré un retournement sur soi.
La seule intention ne suffit pas, il faut en plus s’engager sur un chemin de justice. Est juste celui qui se laisse ajuster par Dieu, autrement dit qui fait sa volonté. Ce que prêchait précisément Jean-Baptiste, cet ajustement à Dieu dans la conversion. Il adressait son enseignement à tous sans exception, mais il était cru de seuls ceux qui reconnaissaient leurs manques et leurs fautes en vérité.
L’avertissement de la parabole s’adresse encore à nous aujourd’hui dans nos chemins de vie. Le Christ nous appelle d’abord à la conversion. Il nous demande de nous positionner par rapport au travail à sa vigne : quel fils voulons-nous être ? Ce qui signifie de prendre au sérieux l’appel que Dieu nous adresse, d’apprendre à discerner, à faire un travail de retour sur soi en se demandant comment se laisser ajuster par Dieu, nos capacités de conversion. Mais aussi de reconnaître qui nous sommes, d’admettre nos faiblesses, nos défaillances, pour que Dieu lui-même puisse s’en servir pour l’édification du Royaume.
Jésus insuffle ensuite l’espérance en tous les possibles. Il enseigne que ceux qui ont commis les pires fautes, nées d’un désir funeste, sont capables d’opérer une conversion radicale, de réussir à se laisser transformer pour s’ajuster à Dieu. Il n’y a que ceux qui demeurent impénitents qui se condamnent à ne pas avoir accès au Royaume. Nul ne doit désespérer de devenir meilleur, Bonne Nouvelle pour tous.
[1] Lucie a vécu à Syracuse, en Sicile, où elle est particulièrement vénérée. Elle y subit le martyre au début du quatrième siècle, sous la persécution de Dioclétien.
[2] L’étymologie du nom Lucie provient de lux, lumière en latin.
[3] Comme souvent, sa vie et son martyr sont en partie légendaires (la légende dorée de Jacques de Voragine). Née d’une famille noble et riche de Syracuse, elle aurait guéri sa mère souffrant d’une inflammation des entrailles et de pertes de sang. Refusant d’épouser un fiancé qui lui était imposé par sa famille, elle aurait été dénoncée par lui comme chrétienne. Refusant d’abjurer sa foi malgré les intimidations et les tortures, elle aurait eu les yeux arrachés et la gorge tranchée par une épée. En fonction de ces éléments biographiques, elle est évoquée pour les maladies des yeux, de la gorge et les hémorragies, et est la patronne des aveugles, des électriciens, des ophtalmologues.
[4] Tout particulièrement dans les pays scandinaves, au départ de la Suède.
[5] Elle est vénérée tant par les catholiques que par les orthodoxes, les orientaux, les anglicans ou les luthériens.
[6] Le dicton soutient qu’à la Sainte-Luce, les jours croissent du saut d’une puce. Deux explications en sont fournies. D’abord, le passage du calendrier julien au calendrier grégorien : le 13 décembre du calendrier julien correspondait au 26 décembre du calendrier grégorien, jour proche du solstice. Ensuite, le 13 décembre serait le premier jour à partir duquel le jour se couche plus tard que la veille dans l’hémisphère Nord.